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Retour sur le premier mai

LE PREMIER MAI dernier, entre 600 et 800 personnes ont pris part à une manifestation anticapitaliste organisée à Montréal pour commémorer la Journée internationale des travailleurs et travailleuses. L’événement, mis sur pied par une coalition ad hoc de groupes et d’individus pour qui le Premier mai constitue toujours un symbole fort de la lutte de classe, s’est terminé abruptement dans une orgie de répression policière aussi abjecte que gratuite. (Voir à ce sujet ce communiqué http://www.cmaq.net/node/29951 et ce commentaire http://www.cmaq.net/node/29956, tous deux publiés sur le site du Centre des médias alternatifs du Québec)

La manifestation était essentiellement composée des éléments les plus radicaux – explicitement anticapitalistes – des milieux militants, étudiants et communautaires, ainsi que d’une foule bigarrée de précaires en colères, de sans-emploi, d’anarchistes, de communistes révolutionnaires et de révoltés sans attaches. Toutes et tous ont en commun la mémoire des luttes acharnées menées depuis des siècles par la classe ouvrière internationale contre l’oppression du Capital et pour l’abolition du salariat, cet esclavage maquillé. Depuis plus de 120 ans, celles et ceux qui vivent ou côtoient au quotidien la misère et l’exploitation capitaliste choisissent à cette occasion de prendre la rue et d’afficher leur fierté de classe.

Le gros de la soi-disant « classe ouvrière » québécoise, cette masse informe jalousement gardée par les institutions syndicales du pays, brillait par son absence. C’est que les apparatchiks, fidèles à eux-mêmes, avaient choisi encore cette année d’attendre le week-end, soit le 3 mai ( !), pour fêter le Premier mai. Cette tendance lourde des syndicats à oublier la valeur et la teneur symbolique du Premier mai (pour ne pas faire de vagues sur le « marché du travail ») s’affiche depuis quelques années au Québec, à chaque printemps. Si seulement leurs sorties mondaines pouvaient encore refléter la force et la solidarité d’une classe ouvrière unie, on pourrait encore pardonner aux syndicats leur « déficience historique », mais plusieurs observateurs s’entendent désormais pour dire que ces marches du 3 mai (ou du 29 avril !!) sont de plus en plus pathétiques et impertinentes au fil des ans.

Pourquoi le mouvement ouvrier québécois fête-t-il « le travail » au mois de septembre et non pas « les travailleurs et travailleuses », le Premier mai de chaque année, comme toutes celles et tous ceux qui reconnaissent et rendent encore hommage aux luttes prolétaires passées et contemporaines, d’un bout à l’autre de ce monde malade ? Voilà une question que l’on pourrait avec raison souhaiter adresser aux mandarins des institutions syndicales du pays. On serait aussi tenté de leur demander pourquoi tant d’entre eux et elles, jadis si virulent-e-s dans leur dénonciation du capitalisme s’empressent aujourd’hui d’accommoder leurs coutumes aux « impératifs » pragmatiques du système autrefois honni et, par la même occasion, à tourner le dos à celles et ceux qui ont encore le courage de se dire « anticapitalistes ».

Car si l’on peut du bout des lèvres, par dépit ou dérision, pardonner aux syndicats leur amnésie chronique, on ne peut que dénoncer leur manque total de solidarité avec celles et ceux qui organisent les rassemblements radicaux du traditionnel May Day, celles et ceux qui y participent, et surtout celles et ceux qui subissent brutalité policière et répression politique pour avoir ainsi choisi d’exprimer leur conscience sociale et leur fierté de classe.

Rappelons qu’au Premier mai 2004, alors que les syndicats daignaient organiser une manifestation du May Day (parce que le 1er tombait un samedi cette fois-là !), le service d’ordre syndical n’a pas hésité à s’interposer violemment entre des militants anticapitalistes et la division anti-émeute du Service de police de Montréal. Et par « s’interposer entre », nous voulons dire « brutaliser les militant-e-s à la place des flics ». Souvenons-nous aussi qu’en 2005, les quelques centaines de syndicalistes et syndiqué-e-s « full patch » qui prirent part à la marche du May Day s’étaient réfugié-e-s dans le Medley pour siffler des bières froides alors que la répression policière s’abattaient à nouveau, tout juste à l’extérieur du bar, sur les précaires, anarchistes, communistes révolutionnaires et autres anticapitalistes rassemblés pour l’occasion. N’oublions pas non plus la violence disproportionnée (scie mécanique dans la porte, tirage par les cheveux, claques sur la gueule et coups de pied au cul) qui a marqué l’expulsion par les « goons » de la FTQ d’une poignée d’anarchistes qui avaient occupé le bureau d’Henri Massé, le Premier mai 2007, justement pour dénoncer le caractère immobiliste et profondément récupéré du syndicalisme québécois.

Cette tendance anti-solidaire s’est définitivement confirmé en 2008, alors que les directions de toutes les centrales syndicales confondues, non contentes d’avoir complètement ignoré la manifestation anticapitaliste du Premier mai, n’ont même pas cru bon d’émettre un communiqué pour dénoncer le caractère sauvage et arbitraire de l’intervention policière, qui visait cette fois-ci à casser la manifestation sans motif valable. Cette désolidarisation est profondément méprisable et a tous les attributs d’une authentique trahison.

Si la lutte des classes est bien vivante en 2008, elle semble désormais s’articuler sur de nouveaux axes. La classe syndicale québécoise, celle qui fête pitoyablement « le travail » le premier lundi de septembre et se soumet apathiquement au calendrier de l’ordre capitaliste, se détourne maintenant ouvertement de ce qu’elle considère sans doute, à tort, comme une survivance importune du lumpenprolétariat : la meute précaire, bigarrée, gueularde et fièrement anticapitaliste qui préfère encore prendre la rue montréalaise le Premier mai, envers et malgré la répression policière et l’absence cruelle de solidarité sociale.

Il me semble qu’il serait grand temps que ce qui reste de la base prolétaire passe enfin par-dessus les têtes dégarnies des garde-barrière syndicaux et se réapproprie son histoire en exigeant, par la grève et le combat, que le Premier mai retrouve le caractère révolutionnaire et résolument anticapitaliste que lui avaient donné ses pionniers et pionnières. Malheureusement, il est peut-être déjà futile d’attendre que cette classe déformée se reprenne en main et accepte de sacrifier certains privilèges au nom des solidarités sociales et des valeurs humanistes qui jadis fleurissaient ses discours.

Une chose est certaine cependant, le Premier mai 2009, et chaque année ensuite, la sous-classe anticapitaliste reprendra bravement la rue montréalaise pour faire valoir son histoire et rendre hommage à celles et ceux qui sont tombé-e-s de par l’histoire sous le joug des exploiteurs ou sous le coup des trahisons

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