En juillet 2004, le magazine indépendant Recto Verso fermait ses portes, mettant fin à 53 ans de propriété collective d’un média sans but lucratif.
La même semaine, le journal Allô-Police disparaissait. Son éditeur Richard Desmarais estimait sa rentabilité insuffisante. Et puis, au cœur de l’été 2004, défrayant la manchette, la bataille du consortium Genex et du morning man Jeff Fillion pour la « liberté d’expression » à CHOI FM faisait rage à Québec.
La fermeture abrupte du magazine, au beau milieu d’une campagne de levée de fonds (la vente des « actions solidaires, à rendement non financier mais démocratique garanti »), a dû décevoir des milliers de lecteurs et ses 600 sociétaires. L’impossibilité de gérer la dette au quotidien avait eu raison du magazine, même si, entre 2000 et 2004, l’équipe de Recto Verso avait ramené cette dette de 330000$ à 150000$. Aujourd’hui, il n’est plus temps de savoir ce qu’il aurait fallu dire ou faire pour surmonter l’interminable crise financière, mais de se demander quelles leçons tirer de cet échec collectif.
Lancé en septembre 1997 pour succéder à Vie Ouvrière, Recto Verso était un bimestriel à grand tirage (85 000 exemplaires au Québec et au Canada) de grands reportages et d’information générale. Le magazine se qualifiait lui-même « de gauche ». Les membres de la Corporation Vie ouvrière, une société à but non lucratif, en étaient les propriétaires. Au Québec, Recto Verso restait une des dernières publications indépendantes parmi la multitude de médias appartenant à une poignée de millionnaires.
La leçon
Des commentateurs, plus ou moins éclairés, ont questionné le choix de son grand tirage, de sa distribution gratuite ou son papier glacé critiqué le recours à des subventions ou encore le pari de vivre de la publicité pour un magazine de gauche au Québec. Plusieurs ont dit que sa fermeture était causée par la perte d’un financement annuel du Fonds du Canada des magazines en 2003.
En fait, c’est plus simple et plus complexe. Dans les trois ans ayant suivi son lancement (1997), Recto Verso a généré un déficit d’exploitation, comme la plupart des médias. Entre 2000 et 2004, le publication n’était plus déficitaire, mais elle manquait de liquidités, faute de capitaux de départ suffisants. La direction du magazine n’a jamais réussi à échelonner le remboursement de la dette cumulée, pour travailler dans des conditions financières viables.
Le Fonds du Canada pour les magazines de Patrimoine Canada supprimait en 2003 sa subvention annuelle de 30000$ à Recto Verso, alors qu’il continue aujourd’hui à financer à coup des centaines de milliers de dollars les plus importants magazines commerciaux. En pratique, les plus gros annonceurs au pays (les gouvernements du Québec et du Canada)favorisent exclusivement les conglomérats de presse par leurs achats de publicité et leurs subventions, suivis en cela par les commanditaires privés.
Voici la véritable leçon à tirer de la fermeture de Recto Verso l’enjeu de la capitalisation des médias indépendants.
Certains médias choisissent, pour survivre, de miser sur le militantisme et le bénévolat de leurs collaborateurs, un petit tirage ou la diffusion seulement sur Internet, en attendant de faire mieux et faute de capitaux de départ suffisants. En effet, qui peut se permettre aujourd’hui d’attendre pendant des années qu’une radio, un journal ou un magazine atteigne le seuil de la rentabilité Les gros éditeurs ou diffuseurs. Quebecor a attendu plusieurs années que l’hebdomadaire montréalais Ici fasse ses frais. Le conglomérat peut se le permettre. Mais pas un indépendant, sauf s’il est appuyé par les institutions financières, les gouvernements ou des commanditaires fidèles. Ce que de maigres capitaux et une faible diffusion permettent à des diffuseurs ou des éditeurs indépendants, combinés à un engagement militant, est contrebalancé par leur influence restreinte, sans comparaison avec l’ascendant exercé par les consortiums de presse.
Recto Verso n’aura finalement pas tenu son pari. Mais son histoire est riche d’enseignement pour d’autres projets, plus nécessaires que jamais.
Un dossier rédigé par Anne-Marie Brunelle, éditrice, et Richard Amiot, rédacteur en chef de Recto Verso
Laisser un commentaire