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Le peuple le plus accommodant qui soit…

Le peuple invisible de Richard Desjardins et de Robert Monderie est l’histoire d’un ethnocide (1). Il est aussi une belle claque dans la gueule du spectateur québécois. Car si nous sommes nés pour du petit pain, une fois qu’on a vu ce film, on se demande pour quoi sont nés les Algonquins.

Le peuple invisible est l’histoire systématique et convaincante de l’arnaque subie par cette communauté aujourd’hui parquée à Maniwaki (dans le meilleur des cas), dans des réserves (plus communément) ou illégalement installée en squateur sur des terrains d’Hydro Québec sans eau courante ni… électricité.

Dans les rôles des l’arnaqueurs : le gouvernement du Québec et l’Église, plus particulièrement les Oblats, consciencieux missionnaires marseillais qui s’étaient portés volontaires pour « sauver » ces sauvages de leur noirceur spirituelle. Dans le rôle des arnaqués, les ancêtres des Algonquins et leurs enfants d’aujourd’hui. Enfants qui ont dans les réserves, à la proportion de 1 sur 2, déjà tenté de s’enlever la vie.

Les images d’archives réunies dans ce film sont précieuses et parlent haut et fort. Elles nous montrent l’arrivée des missionnaires pour assimiler les Algonquins, en allant les chercher dans le bois, le long de la rivière Outaouais, où ils se terrent depuis que les colons ont pris les berges d’assaut. Une fois sortis du bois, on leur inculque au plus vite la peur de l’enfer, lequel est en fait à venir… avec les Blancs.

Un des documents vidéo les plus percutants du film nous présente le pensionnat pour Indiens d’Amos où on envoyait les enfants arrachés à leurs parents dès l’âge de 7 ans pour leur apprendre notre belle langue. Ne sachant pas où ils partaient ni pour combien de temps, les enfants algonquins étaient entassés dans des autobus et conduits dans un pensionnat où ils allaient passer, jusqu’à leur adolescence, 10 mois par année. 10 mois au cours desquels ils ne reverraient pas leur famille et ne pourraient plus s’exprimer dans leur langue maternelle. Lorsqu’ils retrouveraient enfin leur famille durant l’été, le besoin de créer un lien avec elle serait tel qu’il surpasserait la nécessité de dire l’enfer quotidien vécu au pensionnat, où plusieurs subissaient régulièrement mauvais traitements et viols.

Desjardins fait parler à la caméra ses enfants algonquins, aujourd’hui dans la cinquantaine. Leurs paroles sont difficiles à entendre et leur regard, difficile à soutenir. Un des témoins dira « Et c’est de l’Église catholique qu’on parle là ! Des milliardaires qui sont à Rome ! »

Mais si Desjardins a réussi le tour de force de résumer près de 400 ans d’histoire en moins de 2 heures, on ne lui fera pas l’affront de tenter de résumer son film en 800 mots.

Il faut aller voir Le peuple invisible, (encore pour peu de temps à l’affiche à l’Ex-centris), surtout à un moment où on nous bassine avec les accommodements raisonnables. Le gouvernement québécois a été en-dessous de tout dans l’affaire algonquine et nous sommes très mal placés pour nous sentir choqués par les us et coutumes des immigrants. Comment nous, peuple québécois pouvons-nous demander qu’on nous respecte, qu’on nous donne la nation à laquelle nous avons droit quand nous-mêmes, nous nions ce droit aux premières nations ? À toutes celles et à tous ceux qui ont vécu des centaines d’années en accord avec la nature, avant que nous ne foulions leur terre, que nous ne les rendions malades physiquement et psychologiquement ? C’est une des questions que pose Le peuple invisible. Et ce n’est pas la moindre.

Ce film aura-t-il les conséquences pratiques qu’à eu L’erreur boréale ? Sera-t-il un tremplin vers une prise de conscience du gouvernement québécois, des devoirs qu’il a envers les premières nations ? Ou bien restera-t-il le constat terrifiant d’un ethnocide ? Ce sont les questions que je me pose.

ISABELLE BAEZ

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