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L’affaire Guindonville

La situation mondiale alarmante ne doit pas nous faire oublier les conflits régionaux et les petites magouilles locales. On perd peut-être en importance géo-politique, mais on gagne souvent en valeur pédagogique.

L’exemple qui suit illustre un conflit classique entre des citoyens qui s’estiment lésés dans leurs droits et un conseil municipal, celui du petit village de Val-David dans les Laurentides, qui veut aller de l’avant avec un projet en s’appuyant sur les lois.

Or le dossier n’est pas simple. Un « beau cas », comme le disent souvent les urgentologues en voyant arriver un accidenté de la route aux multiples blessures… Le Couac a donc recueilli pour vous les points de vue des différents partis et vous les présente ici.

Le débat étant le fondement même de la démocratie, et celui-ci sous-entendant que les gens qui y prennent part sont bien informés, nous vous invitons à vous mêler de ce qui vous regarde en participant à ce débat. Vous pouvez envoyer vos commentaires à info@lecouac.org ou à chacun des principaux intéressés dont l’adresse électronique figure au bas de leurs arguments. Bon débat !

BRUNO DUBUC

 

Voici d’abord le courrier des lecteurs qui est à l’origine de cette enquête :

Expropriations abusives à Val-David

La mairie de Val-David envisage de détruire sept maisons à loyers modestes (150 à 300 $/mois) au profit d’un stationnement et d’un pavillon d’accueil pour l’entrée du parc Dufresne. Le propriétaire du lieu-dit Guindonville, M. Guindon, âgé de 87 ans, a refusé de vendre (d’autant plus que la somme offerte par la municipalité, 220 000$, est moins que la moitié de la valeur réelle d’un tel terrain) et a donc été exproprié.

Cette décision nous paraît injuste, autant pour le propriétaire, les locataires et pour les citoyens de Val-David qui n’ont pas été informés du projet ni de l’emprunt de 501 000$ pour son exécution.

Il est à noter que d’autres terrains propices à un stationnement, sans habitations, étaient disponibles, pour une somme bien inférieure à l’achat de Guindonville, dont celui de M. Carignan au pied des sentiers du parc, mais la mairie s’obstine à vouloir se débarasser, semble-t-il, d’un quartier plus modeste de Val-David.

Le processus d’expropriation suit maintenant son cours. La seule indemnité offerte aux locataires correspond à six mois de loyers gratuits […] et les frais de déménagement. […] Nous sollicitons la participation du public afin de préserver l’intégrité de ce village culturel en envoyant des messages de protestation à la mairie (info@valdavid.com) pour exprimer votre mécontentement et demander des raisons valables du choix de Guindonville pour l’emplacement du stationnement.

Merci d’avance, Chloë Charce

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Le Couac a par la suite demandé à la mairie de commenter certains extraits d’articles de la journaliste Josée Boileau écrits sur cette affaire et parus dans le Devoir du 1er et du 4 février dernier. Voici d’abord les extraits en question :

1) « Le rapport, réalisé par le directeur général de Val-David, André Desjardins, établit [dans] la liste des avantages […] ’’débarrasse le village d’un bidonville » et « situé près de l’entrée de KM 42 »

2) « Les avis ont été respectés […] sauf qu’avant que les gens comprennent ce dont il était question, le temps des contestations légales était écoulé. Et le conseil municipal ne tiendra aucun compte de la pétition de 1200 noms qui suivra. »

3) [M. Jean-Pierre Carignan qui affirme :] « j’ai essayé pendant trois ans de vendre le terrain de ma belle-famille à la Ville […] Puis, l’été dernier, on m’a dit non pour manque de fonds. Alors quand ils ont voté un emprunt de 500 000 pour acheter Guindonville, ça m’a un petit peu révolté ! »

4) [M. Réjean Ross qui affirme, au sujet de son projet de camping rustique :] « « La date du référendum sur le projet était fixée, mais le directeur général de la Ville avait oublié la quatrième adoption du règlement de changement de zonage. Il y a eu un vote et, à la surprise générale, quatre conseillers municipaux sur six ont voté contre. » […] Il constate aujourd’hui avec étonnement qu’un camping rustique est prévu dans le développement du parc régional. »

* * *

Réponse de André Desjardins, directeur général de Val-David. 1) Malgré que ce rapport était interne, nous avons été transparent et il n’a pas été modifié pour diffusion publique. « Situé près de l’entrée de KM 42 » – comme il est situé près du parc linéaire du P’tit Train du Nord, du centre du village, des différents services hôtelier etc. 2) Le dossier du règlement a été approuvé par le ministère des Affaires municipales, l’ensemble des étapes d’adoption ont été respecté. Rien d’autre à rajouter. Une pétition n’a pas de valeur légale et il n’est pas dans nos intentions de décortiquer la pétition déposée. 3) M. Carignan dit n’importe quoi – il faut préciser que ce dernier a demandé plus de 280 000 $, ce terrain est en grande partie en zone humide et éloigné du centre du village. 4) M. Ross est peut-être frustré que le Conseil n’est pas donné suite à son projet, mais la procédure d’adoption du règlement de zonage demandait son adoption finale avant de passer au vote, et le Conseil n’a pas donné suite. Ce que M. Ross ne dit pas c’est que son projet soulevait bien des protestations de la part des propriétaires de ce secteur visé. […] Pour ce qui est d’un possible camping rustique dans le parc régional, rien n’est décidé pour le moment, ce n’est qu’à l’étape d’hypothèse parmi un grand nombre de possibilité tel que la glissade, l’équitation, la randonnée, etc. L’ensemble du dossier a toujours été clair et transparent et déposé en séance publique du conseil. Il a reçu l’aval du ministère des Affaires municipales, autant au service du Financement que du service Juridique, pour chacune des étapes du règlement de la municipalité. Lorsque l’on porte des accusations comme le font ces personnes, il faut être capable de les prouver, à ce jour – rien, aucune preuve n’est venu démontrer ce que ces personnes laissent entendre. Des procédures seront intentées afin de mettre à jour ces faussetés répandues par ces gens sans scrupule. André Desjardins andredesjardins@valdavid.com

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Réponse de Dominic Asselin, conseiller municipal de Val-David depuis décembre dernier.

1) Les mots sont très mal choisis […] il faut retenir tout de même le sens de son propos : on parle de cabanes oui des gens y habitent comme locataire mais si on faisait venir un inspecteur de la régie du loyer elles seraient déclarées insalubres […]. Un rapport d’évaluateur indique que les maisons sont évaluées en moyenne à $15 000 chacune, imaginez-vous une maison qui vaut $15 000….D’ici quelques années elles vont tombées à terre toutes seules.

KM 42 est un site touristique où l’on peut louer des chalets la fin de semaine ou à la semaine. Le directeur aurait pu ajouter aussi près de l’hôtel La Sapinière, près du Parc Linéaire, près de la petite Suisse (location de chalet), près de l’auberge Le Rouet, près du centre du village, …Saisissez-vous que la situation géographique est excellente.

2) Oui, les avis ont été respectés, tout est légal mais cela a manqué de morale. Il est évident que nous n’en serions pas là si le projet avait cheminé avec les gens concernés mais cela ne modifie pas pour autant le résultat.

3) Savez-vous qui est J-P Carignan ? C’est un agent immobilier. Quand il a su que le terrain faisait partie d’une analyse de site il est passé de $90 000 à $278 000 et la majeure partie du terrain est répertoriée zone humide. Pour un citoyen qui ne voulait que le bien de la communauté on repassera.

4) Monsieur Ross n’a absolument rien à voir avec ce dossier. Il a voulu faire un camping dans une zone résidentielle ses voisins ont refusé le changement de zonage. Ses propres voisins n’en voulait pas de son camping, la ville n’a rien à voir là-dedans. Le vote dont vous faites référence est une des façons pour arrêter les procédures pour arrêter des frais inutiles sachant que tout le monde s’opposera de toute façon au changement de zonage.

Comme beaucoup de mes concitoyens, je suis déchiré par cette conséquence mais nous n’avons pas le choix. Dans les 12 derniers mois il y a eu plus de transactions sur les terres que durant les derniers 10 ans. Les développeurs sont chez nous. […] Suite aux dernières transactions il est maintenant IMPOSSIBLE de se rendre aux montagnes. […] Il nous faut un accès sinon nous allons crever et il y aura des bungalow en briques roses jusqu’au sommet. Ce sera la mort de Val-David.

Où trouver l’accès ? Plusieurs sites ont été pressentis et celui de monsieur Guindon s’est imposé de lui-même. Le site est extraordinaire il touche au Parc Linéaire, dès les premiers mètres de montée on rejoint le point de vue de la montagne. […]. En plus […] La terre à monsieur Guindon n’est pas chère, c’est une terre avec 7 cabanes qui nous coûtera $ 250 000. Je vous rappelle que […] nous ne sommes que 4000 citoyens les enfants y compris le budget annuel de la municipalité est de $ 4 000 000 par an pour tous les services municipaux alors on emprunte pour sauver la peau du village mais il y a des conséquences. […] Tout le monde a fait état des conséquences mais personne n’a parlé de l’objectif : sauver nos montagnes, notre patrimoine, notre village.

Dominic Asselin domdede@sympatico.ca

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Réponse de Chloë Charce, Guindonvilloise et citoyenne de Val-David.

1) Notons que le terme de « bidonville » est totalement injustifié. […] Les petites maisons de Guindonville sont simples et rustiques, certes, mais c’est justement ce qui fait leur charme pittoresque, en harmonie avec l’esprit champêtre de Val-David. Personne ne s’en plaint, et si vous les qualifiez d’insalubres, pourquoi ne pas avoir dès le début de l’évaluation fait venir un inspecteur d’insalubrité ? […] Les « cabanes » de Guindonville sont édifiées à partir de matériaux sains tels que le bois et la pierre. […] si elles ont tenues le coup depuis cinquante ans, elles survivront encore plusieurs années, contrairement à de nombreuses constructions récentes, préfabriquées […].

Si la mairie considère le Km 42 comme un avantage, pourquoi ne pas avoir précisé ouvertement la proximité des autres lieux d’ébergements environnants ? Ce nouveau commerce vient seulement de s’établir et a une clientèle bien restreinte par rapport à La Sapinière ou Le village suisse… […] De plus, les terrains qui étaient à vendre (par l’ancien conseiller municipal et agent immobilier Régean Paquin ) sur la rue Dusseault et de l’Aiguille offraient les mêmes avantages ! Pourquoi ne pas les avoir choisi ? (pour une somme moindre que l’achat de Guindonville).

2) Procédures légales, mais anti-démocratique. Comment peut-on considérer ces avis si la population n’a pas été informée de leur existence, pas même dans les médias ?

3) [M. Carignan est] un promoteur, certes, mais il n’est pas très logique de refuser l’offre d’un terrain vacant au profit d’un autre où se trouve 7 habitations et où il faut agir par expropriation car le propriétaire ne souhaite pas vendre ! Et pour ce qui est du marécage, il est toujours moins couteux de construire des petites passerelles de bois (les sentiers de la forêt en regorge d’ailleurs) que de détruire des maisons et d’indemniser les locataires. Et la somme de 278 000$ demandée par Carignan reste inférieure à l’emprunt de 500 000$.

4) Je n’ose pas me prononcer ici, car je ne suis pas en connaissances de cause.

Pour un « petit » village avec une « petite » industrie touristique, nous croyons justement que l’emprunt de 501 500$ s’avère une somme faramineuse pour l’édification d’un stationnement et d’un pavilllon d’accueil, et qui devra être remboursée non pas par les élus, mais bien par les citoyens, qui rappelons-le, n’ont pas été informés du projet avant qu’il ne soit voté !

[…] Pour ma part, je crois plutôt que ce projet est, en autres, un prétexte pour se débarasser d’un quartier, et l’ambition de nos élus semble vouloir faire de Val-David un nouveau Mont-Tremblant. De plus, nous savons que l’édification d’un stationnement n’est que le début d’un processus de transformation du village : qui sera le prochain à être exproprié pour un autre projet démesuré de la sorte ? Nous ne sommes pas contre l’industrie du tourisme, qui est indispensable, mais celle-ci ne doit pas s’épanouir au détriment du bien-être des citoyens. La survie du village ne dépend certainement pas d’un stationnement ou d’un d’accès aux montagnes (car il y en a partout), mais plutôt d’une solidarité en tant que communauté. […]

Chloë Charce cchloe@sympatico.ca

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Voici enfin des extraits d’une lettre de Mme Myriam Tison, résidante de Val-Morin et épouse de M. Pierre Gougoux, alpiniste chevronné (Anapurna , Everest, etc…), qui a pris la défense des Guindonvillois par des lettres ouvertes.

[…] Plutôt que d’écouter les peurs et les freins de chacun, j’ai fait ma propre investigation pour savoir s’il y avait d’autre options à Guindonville […], des options moins coûteuses et surtout faciles à aménager. À ma très grande surprise, aucun des propriétaires rencontrés n’ont reçu d’offre de la ville […] pour y aménager un stationnement et un chalet.

Et pourtant, au conseil de ville de Val-David, on nous affirme qu’il n’y a pas d’autres options que Guindonville. […] Est-ce qu’un jour nous allons connaître toute la vérité sur les véritables motifs qui poussent la ville à vouloir débourser autant d’argent pour Guindonville ? […] À qui profite réellement cette expropriation ?

[…] Quand on sait que plus de 1200 personnes ont signée une pétition pour s’opposer au projet et en plus des artistes comme Richard Séguin, Gilles Vigneault, Michel Rivard et Richard Desjardins endossent la cause. Quelle démocratie viendra à bout de faire comprendre aux élus que Guindonville n’est pas l’option favorable ?

Il y a d’autres options mais la ville n’a fait aucune offre. Une chose est certaine, c’est que la Loi du silence à Val-David est au cœur du débat et [s’applique au] pouvoir que certaines personnes s’approprient à la municipalité de Val-David.

Myriam Tison

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