Comme le dit si bien la chanson de cette grande philosophe qu’était Mireille Mathieu, il n’y a pas que les grands discours intégristes ou la rhétorique belliqueuse des spin doctors qui peuvent amener l’honnête citoyen à tuer, à aller se faire tuer, ou à accepter sans broncher que des gens se fassent tuer. Il y a aussi de simples mots.
Des mots qui sont passés dans le langage courant et sont devenus l’appellation désignée d’une chose à force de répétitions dans les grands médias. Pensons à ces chères « armes de destruction massive » devenues l’incarnation du mal irakien mais qui nous font oublier que les États-Unis, eux, en ont vraiment et en quantité astronomique. Mais elles détruisent massivement pour le bien. Ce n’est pas la même chose.
Ou prenez les adeptes de la « théorie du complot », une étiquette pratique pour discréditer quelqu’un. On l’accole ainsi à quiconque ose remettre en question ne serait-ce qu’une parcelle de la version officielle des événements du 11 septembre 2001. On a vu récemment son efficacité avec Amir Khadir et Richard Bergeron. Comme si l’histoire n’était pas faite que de cela, de complots.
Ce qui m’amène à l’utilisation du mot « prison » associé à Guantanamo Bay. Selon le Petit Robert, une prison est « un établissement clos aménagé pour recevoir des délinquants condamnés à une peine privative de liberté ou des prévenus en instance de jugement. ». Pour quiconque s’abreuve à d’autres sources d’information que CNN ou Fox News, rien de tout cela ne s’applique à Guantanamo. Dix détenus seulement sur les 750 passés par Guantanamo ont été inculpés. Et 460 y croupissent encore depuis plus de 4 ans sans la moindre idée du moment d’un éventuel jugement.
La « prison de Guantanamo », comme on l’entend encore quasi quotidiennement n’est pas une prison. C’est un camp de concentration, un goulag, un centre de torture, à vous de choisir, mais jamais une prison. Et l’immense majorité des journalistes qui utilisent sans se poser de questions le mot « prison » parce que c’est l’expression consacrée deviennent des complices implicites de cette volonté d’occulter la torture qu’on y pratique.
Et si jamais la seule lecture du mot torture ne vous fait pas frémir parce que c’est trop difficile à imaginer pour l’honnête payeur de taxe que vous êtes, payez vous une expérience hors du commun et allez voir « On the road to Guantanamo »*, le film relatant les deux années passées à Guantanamo par trois jeunes anglais d’origine pakistanaise partis assister à un mariage au Pakistan en septembre 2001 et capturés en Afghanistan par l’armée américaine. Un petit trip touristique qui sera la plus mauvaise décision de leur vie, pour le dire comme l’un des protagonistes finalement relâché comme ses amis sans aucune accusation portée contre lui.
Après seulement une heure de contention de toute sorte, de musique assourdissante dans les oreilles, de chaleur suffocante, de cagoule et de cellules d’isolation, vous en sortirez probablement comme moi fragilisé et épuisé. « Imaginez deux semaines », comme disait l’ancienne pub des clubs Med. Imaginez deux ans maintenant… De quoi vous faire rêver d’un séjour dans une vraie prison.
On apprenait il y a quelques semaines que le plus haut tribunal américain déclarait que les tribunaux militaires d’exception de Guantanamo étaient illégaux et que le gouvernement Bush avait outrepassé ses pouvoirs en les mettant sur pied. Certes, c’est une bonne nouvelle. Mais on peut s’interroger sur le sort qui sera maintenant réservé aux détenus, et s’il ne seront pas simplement envoyés dans les nombreuses « prisons secrètes » disséminées à travers le monde, lesquelles nous pourrions dès lors prendre la bonne habitude de désigner par leur vrai nom, à savoir « ateliers de sous-traitance de la torture »…
Car à l’instar du journal français PLPL devenu maintenant le Plan B (voir au http://www.homme-moderne.org/plpl/n26/p6-7.html ), on peut nous aussi utiliser cette arme des mots, mais à bon escient. Et ça peut être très rigolo… Par exemple, pourquoi se fatiguer à répéter et à démontrer sans cesse que le pouvoir, l’argent et les grands médias vont de pair, alors que l’utilisation de l’acronyme PPA (Parti du Pouvoir et de l’Argent), comme le font nos amis du PLPL, est bien plus rapide, claire et amusante ?
BRUNO DUBUC
Laisser un commentaire