LES ÉMEUTES EN FRANCE ONT PROVOQUÉ BIEN DES RÉACTIONS, ici comme de l’autre côté de l’Atlantique. Pour ma part, je n’ai ressenti que du plaisir. Le type de plaisir qui vous envahit quand des événements souvent passés sous silence explosent enfin à la lumière. Pourtant rien de nouveau sous le soleil, qu’il brille sur Lyon, Marseille ou Paris les immigrés n’ont jamais eu la belle vie en France.
« Carail ! », vous avez déjà entendu ça ? Si vous êtes né au Québec, probablement jamais. Moi, je suis née en France et cette douce insulte a bercé mon enfance. On n’a jamais eu besoin de m’expliquer ce que ça voulait dire, vu qu’on ne la lançait qu’aux Portugais et aux Espagnols, comme moi. Mais finalement, j’ai eu de la chance parce que j’ai le teint pâle et que je suis née fille. Mes amis plus foncés, eux, s’en prenaient plein la gueule, au propre comme au figuré.
Quand je suis arrivée au Québec, il y a près de 15 ans, la question qu’on me posait le plus souvent était, et est toujours « Hein ?!! T’habitais en Provence ?! Mais pourquoi t’es venue ici ?! C’est tellement beau, la Provence !! » Ben oui, c’est sûr, entre la horde de touristes qui débarquaient l’été et qui rendaient la côte impraticable et les « autochtones » qui votaient Front National à plus de 70 %, l’était beau, mon coin de Provence !
Dans certains des articles parus sur les émeutes, on qualifie les émeutiers d’immigrés. Pourtant, la plupart appartiennent à la deuxième et surtout à la troisième génération d’immigrés. Ces jeunes que Sarkozy veut nettoyer au « karcher » (jet d’eau à haute pression), ils sont nés en France ; pas aux bons endroits, certes, mais en territoire français.
Seulement voilà, il y a un gouffre entre être né en France de parents français et y être né de parents ou de grands-parents étrangers. Tout est dans la couleur et le nom. Ça prend pas grand-chose pour avoir un nom pas catholique, une lettre en trop ou en moins, un « Ben » ou un « z » mal placé et voilà, il faut justifier Oui, mes parents ne sont pas nés ici, mais ils sont médecins, il vivent à tel endroit et j’ai fait sciences-po. Parce qu’en France, c’est très important ce que fait papa…
Quand j’étais enfant, j’ai vu mes parents, humbles au possible et qui filaient droit dans la société française, se faire expulser de magasins parce qu’ils n’étaient pas nés du bon côté des Pyrénées. Combien de fois, me suis-je pris des insultes ? Combien de fois, m’a-t-on menacé de me casser la figure ? Combien de fois, et je trouvais ça pire, m’a-t-on dit « Mais non, c’est pas pareil ! Toi, t’as l’air Française. Puis Espagnole, c’est quand même autre chose qu’Arabe ! » Et mes « amis » de se tourner vers d’autres pour demander « Non, franchement, tu trouves pas toi qu’elle a l’air Française ? ». Tout ça se passait en Auvergne, dans un petit bled de 2000 habitants où les immigrés étaient relativement bien acceptés puisque tout le monde se les payait pour faire le ménage, le jardin, ramasser les poubelles et autres menus plaisirs.
Un petit coin tout beau, tout propre. Imaginez dans une cité, en banlieue d’une grande ville, de Paris ou d’ailleurs. Quand votre quotidien, c’est le harcèlement policier, la violence sur les murs et dans les yeux, les classes « spécialisées » où les profs ont peur de mettre les pieds. Et puis, rapidement, le chômage. Il y a 15 ans, à Marseille, c’était dur de trouver un job comme vendeuse dans un magasin avec un teint plutôt pâle. Imaginez comme c’est facile aujourd’hui, pour un jeune homme ou une jeune femme, même diplômé, au teint un peu basané, de trouver un emploi avec un taux de chômage dépassant les 40 % [1] chez les 15-24 ans dans les « quartiers prioritaires ». Ceux-là mêmes où se déroulent les émeutes.
Tout ce que je vous dis ne fait pas avancer les choses, j’en suis bien consciente. J’essaie simplement de m’éloigner un peu de ces émeutes en banlieues parce qu’elles vont cesser, si ce n’est pas déjà fait au moment où vous lirez ces lignes.
Elles vont cesser pour nous qui sommes à l’extérieur des cités, qui sommes de l’autre côté de l’Atlantique. Dans la réalité, bien sûr, il en ira autrement, le nombre de voitures incendiées sera revenu à la normale, à quelques centaines par année. Et à Noël ou bien l’été prochain, on ira passer des vacances en France l’esprit tranquille. On n’en reviendra pas comme c’est beau Paris sous la pluie, la Provence au soleil et… les paysages ! Ah, les paysages français ! Et on oubliera une fois encore que dans ce charmant pays, berceau des libertés, c’est pas mal moins beau en arrière du tableau.
ISABELLE BAEZ
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