Mais de quoi s’agissait-il ?
De diffuser dans les écoles la scène hautement éducative du fils Bougon se brochant le pénis, une scène vue par 163 000 enfants de moins de 12 ans ? De lancer un élevage de furets pour que les élèves du secondaire connaissentles mêmes sensations vécues par le cul de ce même Junior ? D’une initiation pratique à l’usage des 10-15 ans sur les avantages respectifs de l’hétérosexualité et de l’homosexualité ?
Qu’est-ce qui a bien pu déchaîner à ce point les passions, provoquant des commentaires où rien, mais absolument rien, ne nous aura été épargné ? Pour Jean Charest, c’était un retour à l’Europe de l’Est de la belle époque. Pour d’autres, c’est le spectre de la Corée du Nord, de Cuba, de l’Albanie d’Enver Hodja qui nous menaçait collectivement. « Sovietissime ! », a clamé le sentencieux Pierre Thibeault, atteint d’une mauvaise diarrhée verbale.
Étions-nous en face d’une vaste conspiration s’appuyant sur des moyens inouïs visant à laver le cerveau de tout ce qui fréquente l’école, de la maternelle à l’université, comme on aurait pu le croire devant la violence des réactions qui ont accueilli cette publication du Conseil de la souveraineté ? Réactions sans aucune mesure avec la réalité des choses ?
Quelqu’un m’a dit : « Si le titre avait été différent, la réaction n’aurait pas été la même. » Bien sûr. Si le titre du cahier pédagogique avait été Ne parlons pas de souveraineté à l’école, cela aurait rempli d’aise tant les fédéralistes durs que les souverainistes mous, le spectre de la satisfaction s’étendant des unijambistes de la pensée jusqu’aux pleutres compulsifs, des eunuques aux couards, des trouillards aux poltrons.
Qu’on ne s’y trompe pas, cependant. On ne parle pas ici de cette entreprise d’intoxication fédérale agissant tous azimuts et qui prend prétexte tantôt du 50e anniversaire du couronnement d’Elizabeth, du 75e anniversaire de la Monnaie Royale que des cent ans de la RCMP pour envahir, de rouge canadian sur papier glacé, tout ce que le Québec compte de salles de classe. Gratos à part cela. Que non ! On parle plutôt d’un cahier pédagogique, perfectible certes, produit à l’intention des enseignants, tiré à 11 000 exemplaires et vendu 9,95 $ en librairie !
Mais au-delà de la démagogie de très bas étage qui s’est répandue comme un tsunami, la chose est révélatrice de ce qui meut, dans le plus profond de son inconscient, ce peuple qui n’en finit plus de s’excuser d’exister le dimanche, après avoir passé la semaine à se péter les bretelles, à bomber le torse et à crier à tout vent : mon père est plus fort que le tien ! C’est à genoux dans la gravelle qu’ons’aime,nous autres !
Chh ! gens de bien, taisons-nous et laissons les autres parler à nos enfants. Laissons-les leur chanter l’immensité du Canada et la beauté de sa mosaïque de cultures. Laissons-les leur enseigner notre histoire. Laissons-les leur vanter la noblesse du conquérant anglais qui nous permit de conserver notre langue et notre religion ; laissons-les célébrer notre reine et son long règne, et taisons les pillages, viols, incendies et massacres perpétrés par les soldats de Sa Majesté britannique dans les villages de nos ancêtres. Laissons-les leur vanter notre généreuse charte des droits individuels grâce à laquelle des minorités foulent aux pieds nos droits collectifs et nos valeurs communes ; ne révélons jamais, surtout, les tractations, trahisons et passe-droits qui menèrent à son adoption. Laissons-les leur parler des deux référendums tenus dans le respect de la démocratie, et taisons les engagements oubliés, les coups de force, la corruption et le viol des consciences.
Gardons-nous de parler à nos enfants de nos rêves de liberté. On nous accuserait de propagande et de démagogie.
Chh ! gens de bien, laissons parler les autres. Et si possible, tâchons d’être discrets lorsque nous respirons.
MICHEL RIOUX
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