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Charkaoui face à la machine

LE 7 AVRIL DERNIER, ADIL CHARKAOUI, ce Montréalais libéré en février 2005 après quasiment 2 ans de détention sous un certificat de sécurité, témoignait devant la Cour fédérale. Il demandait un assouplissement ou une annulation complète des conditions de libération qu’il endure, et par là même que sa famille endure, depuis plus d’un an. J’ai décidé d’aller entendre l’homme en personne.

Des dangers du téléphone…

D’emblée Charkaoui demande au juge s’il peut croire à son droit d’être jugé de façon juste et équitable alors que les questions qui lui ont été adressées juste avant par la couronne portaient toutes sur un sujet qu’il a abordé la veille avec ses conseillers (celui de ses accompagnateurs). Charkaoui se sait sur écoute, c’est sûr, mais ne pouvant sortir comme il le désire et encore moins utiliser Internet ou un cellulaire, il n’a d’autres choix que de préparer sa défense par téléphone avec ses conseillers. Là où le bât blesse, c’est quand l’avocat de la couronne a accès à des conversations enregistrées par le S.C.R.S (sensément) pour protéger la population canadienne et qu’il utilise allégrement les propos entendus pour coincer Charkaoui en cour.

Harcèlement 101

Suivent différents exemples de l’intimidation dont est victime Adil et qui s’ajoutent à son manque flagrant de liberté. Ainsi, il se défend (contrairement à ce qu’insinue la couronne) d’empêcher sa femme de témoigner. Il la dit tout à fait libre de le faire, en ce qui le concerne, mais, sans accuser personne, il précise que sa femme a pris cette décision sur certaines bases, comme par exemple le fait qu’ayant réussi son examen de citoyenneté depuis plus d’un an, elle n’est toujours pas citoyenne canadienne. Comme par hasard… On lui a dit que la décision était en attente… À noter que, pour le commun des mortels, la réussite de l’examen précède de quelques semaines seulement le moment où on prête allégeance (sic) à la reine d’Angleterre et où on se retrouve heureux détenteur du certificat de citoyenneté canadienne.

Un autre exemple lorsque Charkaoui se présente au centre fédéral où il doit, selon les conditions de sa libération, rencontrer régulièrement un responsable, on le fait, encore là pur hasard, mariner dans un local destiné à la détention et à la déportation.

Mauvaises blagues

Face à de tels arguments, l’avocat de la couronne, optimiste de nature, lance à Charkaoui que ses conditions de libération lui permettent tout de même de réussir ses études. Et l’intéressé de répondre avec un sourire triste que l’être humain s’adapte à tout. Qu’il va en effet réussir à terminer sa maîtrise, mais avec beaucoup de retard. Quant à sa possibilité de travailler, elle est très limitée, puisqu’il ne peut se présenter à des entrevues, qu’il ne peut envoyer de fax et ne peut quitter l’île de Montréal. Il a cependant réussi à signer des contrats de recherche et de correction. Pas évident, d’ailleurs, de faire des recherches, gagne-pain de la famille, 2 heures maximum par jour, lorsque son père revient du travail et peut alors l’accompagner à l’université…

Je m’agite sur mon siège je me sens devant une machine. Une machine bien rodée, qui consiste à broyer de l’humain, à l’humilier, à lui faire poser des questions aussi surréalistes que « Si je vais dans ma cour, en bas, est-ce que j’enfreins mes conditions de libération ? ». Lorsque l’avocat de la couronne lui demande s’il lui arrive d’être laissé seul à l’extérieur par un accompagnateur, Charkaoui fait rire jaune la salle d’audience en répondant « Oui, il arrive que je sois sur un appareil au centre de sport pendant que mon père fait des abdos un peu plus loin… ».

Pour finir, une scène digne d’un mauvais James Bond. Un soir, alors qu’il quitte l’université pour récupérer son auto en compagnie de son père, Charkaoui découvre sa voiture entourée par d’autres autos. Incapable de déplacer son véhicule, il demande au responsable du stationnement de lancer un appel. Ce qui est fait, mais en vain personne ne se présente. Le voici, à 20 heures, 30 minutes avant son couvre-feu, à l’autre bout de la ville, sans possibilité d’utiliser un téléphone pour informer de sa situation. Il s’en sortira de justesse en arrivant paniqué chez lui à 20h35. Il appellera immédiatement qui de « droit » pour avertir de son terrible retard. Juste une question ça vous est déjà arrivé à vous de retrouver votre auto encerclée ?? Une machine à rendre paranoïaque…

À noter que l’une des demandes faites par Adil Charkaoui les 6 et 7 avril concernait la possibilité qu’il puisse se rendre à Toronto, en juin prochain, afin d’écouter les audiences de la Cour suprême qui se penchera, on l’espère, vraiment, sur la validité des certificats de sécurité.

Au moment d’écrire ces lignes, la Cour fédérale n’avait pas encore rendu sa décision.

ISABELLE BAEZ

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