Murray Bookchin, né dans une famille d’origine russe, est décédé à l’âge de 85 ans le 30 juillet dernier chez lui à Burlington au Vermont.
Orateur passionné et intarissable, véritable livre d’histoire ambulant, Murray Bookchin se plaisait à venir à Montréal donner une conférence. Se désespérant parfois du peuple américain, déçu de ne pas avoir appris le français, il se disait proche du côté latin, ouvert et critique des militantEs du Québec qu’il a côtoyé. Il lançait à la blague que le Vermont devrait se dissocier des USA pour se joindre au Québec. Son influence, plus visible dans la gauche anglophone montréalaise, commence à peine à susciter l’intérêt dans les milieux alternatifs francophones. À preuve peut-être, les 1800 copies de son livre Une société à refaire qui ont trouvé preneur ici.
Militant depuis l’âge de 13 ans, il fut expulsé de la Young communist league à 18 ans pour avoir ouvertement critiqué Staline. Il fut ouvrier et organisateur syndical dans les fonderies du New Jersey et c’est à cette époque qu’il entre en contact avec des immigrants européens liés au mouvement anarchiste.
Critique du capitalisme, il l’aura aussi été de la gauche marxiste, des courants de l’écologie profonde, mais également de l’anarchisme. En voilà un qui aura brassé la cage des idées reçues. Considérant que la théorie marxiste était trop centrée sur l’économie et les classes sociales, Bookchin a fait ressortir le rôle déterminant des hiérarchies dans l’histoire de l’humanité. Bien sûr le rôle de l’État, comme système hiérarchique de domination, sera dans sa mire toute sa vie. Mais il a montré que les autres formes de domination sociales ayant cours dans les sociétés humaines ont joué un rôle majeur comme assises de la domination et de la perpétuation du système capitaliste. Il débouche alors sur une nouvelle théorie critique du capitalisme liant la pensée libertaire aux enjeux écologiques et urbains. La question écologique deviendra, dit-il, le talon d’Achille du capitalisme pour peu qu’elle puisse déboucher, à travers l’action politique, sur une transformation radicale de la démocratie. Quelques-unes de ses idées pour le moins visionnaires ont influencé d’importants mouvements alternatifs à partir des années 1970, notamment le retour à la terre, les anti-nucléaires, l’agriculture biologique et aujourd’hui la frange radicale du mouvement altermondialiste.
C’est au milieu des années 1960 que Bookchin développe une nouvelle philosophie politique qu’il nomme l’écologie sociale. En 1974, il fonde avec Dan Chodorkoff, l’Institut d’écologie sociale à Plainfield au Vermont où depuis plus de 30 ans des milliers de jeunes militantEs, dont plusieurs dizaines de québécoisEs, sont venuEs partager théorie et pratique alternatives sur le terrain.
Autodidacte, penseur et auteur prolifique de l’écologie sociale, il a écrit plus de 20 livres dont plusieurs ont été traduits en une dizaine de langues. Ses idées ont inspiré plusieurs générations de militantEs et la conférence de Lisbonne sur le municipalisme libertaire en 1997, où étaient présents des collectifs libertaires de 27 pays différents, est une indication de l’intérêt que suscitent ses idées dans les mouvements anarchiste et écologiste à travers le monde.
Avec sa théorie de l’écologie sociale et sa proposition politique du municipalisme libertaire qui lui est rattachée, Bookchin n’a pas fait que des heureux chez les anarchistes. Il y est encore aujourd’hui vivement critiqué, notamment sur le choix d’investir les élections municipales avec des candidatures libertaires. Cette option est tombée comme un pavé dans la mare de l’anarchisme mais contribue sans aucun doute à étendre le débat. D’autre part, Bookchin a rudement critiqué l’anarchisme individualiste et, de plus en plus déçu de « l’inertie » du mouvement anarchiste international contemporain, il s’est définie comme « communaliste » dans les années 1990 (l’organisation fédérée des communes (villes, quartiers) avec démocratie directe comme base de reconstruction et d’autogestion de la société). Il s’impatientait de ce qu’il percevait comme un manque de rigueur organisationnel d’une partie du mouvement anarchiste. Certains disent qu’il a rompu avec l’anarchisme. Il faut plutôt inscrire le communalisme de Bookchin comme une contribution majeure au renouvellement de l’anarchisme et de la pensée libertaire de la deuxième partie du XXième siècle.
Marcel Sévigny
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