Nietzsche : « Dieu est mort. » Quelques années plus tard… Dieu : » Nietzsche est mort. »
Pas de doute que le père de Zarathoustra n’est plus, mais peut-on vraiment en dire autant de Dieu ? À en croire le dernier ouvrage de Michel Onfray, Traité d’athéologie : Physique de la métaphysique (Grasset et Fasquelle, 2005), on assisterait plutôt à un retour en force du religieux. Il est vrai que si on s’arrête à penser ne serait-ce qu’aux évangélistes néo-conservateurs et aux fanatiques du Djihad, on peut avoir un petit doute. Et c’est sans parler de la mort surmédiatisée du pape…
« Dieu n’est ni mort ni mourant […] parce que non mortel. Une fiction ne meurt pas, une illusion ne trépasse jamais, un conte pour enfant ne se réfute pas. », écrit celui qui, au fil de sa trentaine d’ouvrages publiés, tente de réhabiliter les courants de pensée matérialiste et hédoniste occultés par deux milles ans de judéo-christianisme.
Onfray rappelle en effet que depuis que l’homme préhistorique, devant le cadavre de son compagnon de chasse, a préféré imaginer qu’une part de celui-ci était parti vers un ailleurs meilleur, l’être humain invente des fictions pour supporter l’idée de la mort. Le problème, souligne Onfray, c’est que ces histoires génèrent des névroses depuis 20 siècles en nous répétant que le corps est haïssable, que le plaisir c’est la honte, que les passions et les pulsions sont détestables, etc.
Qualifié « d’impitoyable pamphlet contre les trois grands monothéismes » par les critiques, ce Traité d’athéologie démontre à quel point le christianisme, le judaïsme et l’islam partagent la même haine de la raison et de l’intelligence. Cette haine de tous les livres au nom d’un seul qui professe l’obéissance et la soumission, le culte de la mort et l’obsession de l’au-delà, la virginité et la chasteté, la fidélité monogamique, la culpabilité et la sexualité malheureuse. Autant dire la vie expurgée de tout ce qu’elle a de vivant…
Mais que pourrait-on attendre d’autre de livres comme la Bible, écrits sur plusieurs siècles, et durant lesquels de multiples auteurs ont ajouté et retranché des passages, leur faisant dire bien souvent tout et leur contraire (voir l’article en Une). La Bible qui s’est trompé sur Galilée, sur Darwin, sur Freud. La Bible qui dit non aux valeurs des Lumières qui fondent notre modernité et qui a mis à l’Index Descartes, Rousseau, Voltaire, Diderot mais, curieusement, pas Hitler. De là à dire que les théocraties sont par essence totalitaires, il n’y a qu’un pas, que Onfray n’hésite pas à faire. Pour lui, la souveraineté populaire et la représentation du peuple y sont toujours niées au nom d’un Dieu à qui l’on doit obéir à tout prix.
Certains philosophes ont fait remarquer que la religion était peut-être tout de même souhaitable pour les plus déshérités de la terre qui n’ont souvent que leur conviction religieuse pour supporter leur misère. Or Onfray dit très exactement le contraire, et c’est en ce sens que son athéisme est militant. Car si les croyants invitent à accepter son malheur et à se soumettre dans l’attente d’un avenir meilleur, l’athée ne peut qu’appeler à la rébellion car pour lui c’est ici et maintenant que tout se joue.
Devant l’ampleur de la tâche et le poids de notre finitude, Onfray ne nous laisse cependant pas sans armes et nous propose celles de la philosophie. Car pour le fondateur de l’Université Populaire de Caen, la philo ne devrait pas être le spectacle mondain qu’elle est trop souvent. Elle devrait être à tout ceux qui s’en emparent. Et les sagesses préchrétiennes, que ce soit les Cyniques, les Stoïciens, Sénèque ou Épicure, fournissent un antidote à la morosité chrétienne. La lettre à Ménécée d’Épicure, par exemple, fait dix pages et est à la portée de tous (http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/articles.php ?lng=fr&pg=152). On y lit que quand la mort est là je ne suis plus là, et tant que je suis là elle n’est pas là. Ça a l’air facile, mais si on s’y attarde, on se rend compte qu’on craint toute notre vie qu’une représentation…
Une éthique post-chrétienne nettoyée de ses scories religieuses peut alors véritablement se construire. Celle que propose Onfray se résume en deux grandes valeurs : l’hédonisme pour l’éthique et l’option libertaire (ou anarchiste) pour le politique. On entre ainsi en relation avec les autres en refusant l’autorité, la hiérarchie, la soumission, mais en utilisant plutôt le langage et le discours pour passer des contrats et fabriquer des occasions de se réjouir ensemble. Pour qu’enfin « le corps cesse d’être une punition, la terre une vallée de larmes, la vie une catastrophe, le plaisir un péché, les femmes une malédiction, l’intelligence une présomption, la volupté une damnation. »
YVON D. RANGER
Laisser un commentaire