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Les draps sales du Château Champlain

Les travailleurs et travailleuses de l’hôtel Marriott Château Champlain à Montréal – qui appartient pour moitié à l’ancien joueur de hockey Serge Savard – sont en lock-out depuis le 16 février parce qu’ils ont refusé les offres finales de leur employeur. Afin de montrer leur détermination, ils ont voté le lendemain la grève générale, ce qui signifie que si le lock-out se termine, les syndiqués ne rentreront peut-être pas au travail…Pour l’instant, ils sont dans la rue, devant l’hôtel, montrant du doigt les briseurs de grève que les propriétaires sont allés puiser dans leurs autres possessions.

En juillet 2003, les deux parties s’asseyaient pour négocier une nouvelle convention collective, en pleine haute saison ; les négociations traînèrent jusqu’à l’automne. Les patrons commencent alors à faire des « offres finales » et à imposer des échéances : le 19 décembre, ils intiment aux syndiqués de répondre avant Noël à leur « dernière » offre globale. Ceux-ci, considérant que leurs revendications sont raisonnables, résistent jusqu’à ce que le lock-out soit décidé par l’administration.

Des revendications raisonnables On assiste ici à une situation intéressante : une première convention négociée suite à un changement d’accréditation syndicale, car les travailleurs du Mariott sont récemment passé des TCA à une affiliation CSN. Or, la CSN a mis sur pied un front commun de ses syndiqués dans 32 grands hôtels de la Métropole. Depuis une douzaine d’années, les conventions collectives sont négociées à partir d’une base minimale commune. Le système, de plus en plus rodé, construit un rapport de force intéressant pour les travailleurs. C’est évident que Savard et ses potes ne veulent pas se faire piéger là-dedans, eux qui sont habitués à des relations différentes avec le syndicat des TCA.

Les travailleurs de l’hôtel veulent commencer à rattraper, avec une convention réduite à deux ans, les conditions dont bénéficient leurs confrères des autres hôtels. Dans deux ans, ils pourront intégrer le front commun CSN et terminer l’harmonisation de leurs conditions de travail. Yanick Charbonneau, président du syndicat local, est conscient que les syndiqués ne pouvaient demander immédiatement le rattrapage complet, la concurrence dans l’hôtellerie étant très forte. Mais il ne veut pas croire que Serge Savard, multimillionnaire arrogant, soit à court de fonds et ne puisse, comme la direction l’affirme, répondre aux demandes des travailleurs.

Cadres en habits de valet L’hôtel n’est pas fermé malgré le lock-out. Selon le syndicat qui a pu effectuer une inspection en compagnie d’un inspecteur du travail, les services sont présentement assurés par des briseurs de grève. Ceux-ci proviendraient de deux sources : d’une part des cadres d’autres hôtels possédés par les mêmes investisseurs, d’autre part des employés d’autres hôtels payés 150$ comptant par jour de travail. Le 22 février, s’insurge Charbonneau, « On a pogné le directeur du Holiday Inn de Longueuil. C’est la même chaîne de propriétaires. Y’a aussi des « bénévoles », qu’ils appellent. Hey, personne va pousser les handicapés en chaise roulante à l’hôpital. Qui viendrait faire des chambres bénévolement ? Faites-moi pas rire, là… »

« Présentement, c’est l’organisateur des banquets qui fait ma job », poursuit-il en voyant sortir de l’hôtel le portier qui vient accueillir des clients. « Hey, ouvre-là comme il faut, la porte ! Fais-la comme il faut, ma job ! », crie-t-il au cadre qui connaît mal l’étiquette bourgeois que prescrit le statut de l’hôtel. Il se retourne et continue : « Le service est minable ! Ils changent les draps aux trois jours, le bar, le resto et la cuisine sont fermés. Juste les services mimimum d’accueil et de préposées aux chambres. Ils ont baissé les prix pour compenser et ils ont un feuillet d’explications pour la clientèle. »

Les syndiqués sont déterminés à rester dans la rue. Pour l’instant, ils bénéficient d’un fonds de grève, mais ce n’est guère suffisant pour vivre. Cependant, ils ne fléchiront pas et continueront à se relayer devant l’hôtel. Derrière, les structures CSN travaillent et ils savent qu’ils ne sont pas seuls. « Yves, là-bas, avec la pipe, il a ouvert l’hôtel. M. Cazetta, ici, un serveur du restaurant, lui aussi est là depuis 37 ans. Ils les ont mis dehors en même temps que tout’nous autres, sans aucun respect. À la rue, on s’en fout. », conclut Yanick Charbonneau en identifiant les vieux employés sur le piquet de grève où sont présents une soixantaine de personnes. Pour qu’il puisse mieux comprendre la situation de ses travailleurs, on suggère à M. Savard de se rappeler le temps où il comptait des buts au hockey, le temps où il était lui-même le valet de la famille Molson.

Marco Silvestro

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