Power Corporation a acquis de nouvelles rotatives. Il était plus que temps ! « Le plus grand quotidien français d’Amérique » était devenu le papier d’emballage à épluchures de patates le plus mal imprimé d’Amérique.
LES PROPRIÉTAIRES ont profité de l’occasion pour publier un cahier spécial d’autocongratulations assez putassier, merci. On dirait une vieille prostituée qui croit que son lifting lui a redonné sa virginité. Guy Crevier, président et éditeur, qualifie son journal de « quotidien de référence ». Ça dépend pour qui. Pour la droite conservatrice de Canada Inc., sans doute. Pour les autres, La Presse, Le quotidien de référence incontournable en matière de désinformation de qualité, est un journal de publicité et de propagande capitaliste classique. « La Presse est un lieu de prédilection pour […] la liberté d’expression et la liberté d’entreprendre [et] l’encouragement et la promotion de la diversité d’opinion », écrit le rédacteur du mot d’introduction signé par André Desmarais, gendre de Jean Chrétien et président de Gesca.
À qui appartient-elle, cette belle liberté d’expression ? « La liberté d’expression est accessible tout comme n’importe quel produit au sein d’une économie capitaliste […] elle est disponible en grande quantité, sauf que vous n’y avez accès qu’avec beaucoup d’argent » [1]. Bref, la liberté d’expression appartient au propriétaire du journal. Qu’est-ce qu’un éditorial ? Lisons la définition d’Alain Dubuc, l’ancien éditorialiste en chef de La Presse. Dans un papier titré assez bizarrement : « Qui contrôle les médias ? Personne ! » (13-2), Dubuc écrit : « J’ai une expérience concrète de ces choses, comme éditorialiste en chef pendant de nombreuses années dans un groupe et donc gardien de l’idéologie, responsable de ce que l’on appelle les pages du propriétaire. […] les propriétaires peuvent faire valoir leurs points de vue dans les médias, ce qui est particulièrement vrai dans la presse écrite. Nos quotidiens, […] font une distinction entre leurs pages d’information, qui visent l’objectivité, et leurs pages éditoriales, ou peuvent s’exprimer directement et indirectement les propriétaires. Ce sont là des règles connues, respectées, et que les lecteurs ont appris à décoder. »
En d’autres mots, les journalistes doivent rester « objectifs », et éviter de laisser transparaître leurs opinions personnelles. Les seuls autorisés à faire usage de la liberté d’opinion tant vantée sont les chiens savants qui font des cabrioles intellectuelles dans les pages du propriétaire. C’est clair. André Pratte, l’actuel rédacteur en chef des pages du propriétaire, avouait en direct à Christiane Charette en rougissant un peu du bout des oreilles, qu’un éditorialiste de La Presse doit être fédéraliste. Il s’est défilé quand Charette a demandé s’il avait dû, lui, un ancien souverainiste, se « convertir » pour avoir la job (SRC 12-10). Un éditorialiste doit être la voix de son maître, point. La Presse ne défend pas des idées, elle défend les politiciens financés par Power Corporation et les intérêts de ses clients. On y admet bien quelques fous du roi de talent, tel Foglia, pour amuser la galerie, en sachant pertinemment que leur style libre et outrancier fera ressortir le ton sérieux des éditoriaux.
« Dans les systèmes démocratiques de dirigisme mental, on juge nécessaire de prendre en charge toutes les facettes du débat : rien ne doit rester pensable qui ne soit dans la ligne du Parti. […] Les « critiques responsables » apportent une contribution non négligeable à cette cause, ce qui explique qu’ils sont tolérés voire honorés. La nature des systèmes occidentaux d’endoctrinement a échappé à Orwell et d’une manière caractéristique, n’est pas comprise des dictateurs, qui ne saisissent pas l’utilité pour la propagande d’une position critique regroupant les hypothèses fondamentales de la doctrine officielle et par la même marginalisant la discussion critique authentique et rationnelle qu’il faut bloquer. » [2]
Par exemple, la droite a progressivement remplacé la gauche par l’extrême-droite, comme antagoniste. « L’union de la droite – enfin conclue – ne peut être qu’une bonne chose pour la démocratie canadienne », écrit André Pratte. Le public aura l’impression d’une opposition d’idées entre les Libéraux et les Alliancistes-conservateurs, alors qu’il s’agit au contraire de deux facettes d’une même idéologie. Les groupes d’intérêt de droite, le Conseil du patronat et les millionnaires qui financent l’Institut économique de Montréal en tête, ont soutenu l’ADQ pour introduire dans le débat public des idées d’extrême-droite qui auraient été jugées odieuses si elles avaient été présentées à l’origine par le parti Libéral, qui a tôt fait de s’en emparer par la suite. Le rôle de l’ADQ n’était pas de prendre le pouvoir, mais d’introduire les idées d’extrême-droite dans le débat public, particulièrement l’abolition des services sociaux et la privatisation des services essentiels, tout en occultant les idées des partis plus à gauche.
Vous remarquerez en écartant les pages de la vieille putain de la rue Saint-Jacques (née en 1894) que les idées de gauche n’y ont pas leur place, sauf quand on ridiculise la « gogauche caviar » en page éditoriale. La prétendue objectivité des médias est un mensonge. Le mensonge par omission totale ou partielle est un des outils privilégiés des désinformateurs. « Je suis libre de dire tout ce que je veux. Je peux donner un nombre illimité de conférences à des auditoires de milliers de gens et personne ne peut empêcher cela. Mais, bien sûr, les plus grands médias américains ne diffusent pas et ne diffuseront jamais un discours comme le mien. C’est tout à fait logique puisque mes idées vont à l’encontre de leurs intérêts. », écrit Chomsky [3]. La société actuelle n’est pas plus fondamentalement à droite qu’elle l’était. C’est une illusion entretenue par la presse capitaliste qui occulte totalement les politiciens de gauche et les idées qui contredisent les visées des propriétaires de presse qui rêvent de s’emparer des services publics. On sait que Power a l’œil sur les hôpitaux et l’eau potable, entre autres.
Guy Crevier, l’éditeur, termine sa tirade publicitaire par une vibrante profession de mauvaise foi : « Nous entendons demeurer la source d’information complète et crédible que nos lecteurs ont appris a apprécier ». Pour être crédible, justement, il aurait dû écrire : « nous entendons demeurer la source d’information partielle et biaisée qui plaît tant à nos patrons et à nos annonceurs ». Mais, laissons le mot de la fin au propriétaire, puisque c’est toujours lui qui a le dernier mot : « Enfin, j’aimerais réafirmer notre gratitude à nos annonceurs […leur…] constance nous encourage à leur offrir aujourd’hui un véhicule encore plus efficace pour rejoindre leurs publics. » Ce sont sans doute les seules propos crédibles dans tout ce bel effort d’autocongratulation dégoulinante de complaisance.
JACQUES BOUCHARD
[1] Noam Chomsky, Un monde complètement surréel, Le contrôle de la pensée publique, Lux, 1996-2003
[2] Ibidem
[3] Ibidem
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