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Le coût des étrangers

CEUX ET CELLES QUI CONNAISSENT CLAUDE PICHER savent combien le chroniqueur de La Presse est un homme d’une grande droiture, pour ne pas dire d’extrême droite. Bien sûr, tout le rigoureux travail de ce brave Picher est dédié à la défense du capital. C’est sa fonction sociale, la raison pour laquelle il exerce son noble métier. Ce qu’on ne savait toutefois pas encore, c’est que le charmant chroniqueur, en conformité avec la plus élégante des traditions conservatrices, considère que l’immigration est un « fardeau financier » (La Presse 11-10)

En s’appuyant sur une étude de l’économiste Herbert Grubel publiée, évidemment, par l’Institut Fraser, Picher soutient, sans gène apparente, que l’immigration n’est plus le « facteur de croissance et de prospérité » qu’elle fût auparavant. Le constat de Picher et du brillant Grubel est le suivant en 1980, un immigrant gagnait en moyenne 89% du revenu d’un « Canadien de souche » ; vingt ans plus tard, son revenu ne représente plus que 78% de ce même Canadien. Les chiffres sont encore plus flagrants concernant les immigrants diplômés qui gagnaient 80% de leurs semblables « de souche » il y a 20 ans, et qui n’en gagnent aujourd’hui que 64%. Selon eux, cette baisse de revenu des immigrants est causée par le simple fait qu’ils proviennent de pays pauvres. Le gros problème d’après nos petits savants est que « si les revenus des immigrants sont moins élevés, ils paient moins d’impôt sur le revenu ». C’est un fait scientifique les « Canadiens de souche » paient en moyenne 4543 $ en impôts alors que les immigrants récents n’en paient que 968 $. Résultat « Les immigrants reçoivent donc des services valant beaucoup plus cher que ce qu’ils paient ». C’est simple. Selon les calculs de Gubel, les « Canadiens de souche », par le biais de leurs taxes et de leurs impôts, subventionnent les immigrants à hauteur de 6294 $ par individu – soit 18,3 milliards par année.

Pour remédier à cette scandaleuse injustice, à ce problème objectivement prouvé par la science et exprimé en chiffre, les deux bons génies préconisent une solution tout à fait réaliste. Ils veulent que nos gouvernements luttent contre la pauvreté chez les immigrants ? Pas du tout. Ils veulent combattre les préjugés racistes qui infectent encore la société canadienne ? Mais non, bien sûr que non. Ils veulent que le gouvernement facilite la reconnaissance des compétences et des diplômes des nouveaux arrivants ?

Définitivement, vous connaissez mal Picher et son bienheureux ami. Pour eux, la baisse des revenus des immigrants, donc une hausse de leur pauvreté, ne représente pas un problème pour les immigrants eux-mêmes, qui voient leur qualité de vie baisser, mais bien pour les « Canadiens de souche », qui n’ont pas à assumer ce « fardeau financier ».

Notre sympathique couple de sommités préconise donc la mise en place d’une « nouvelle procédure de sélection des immigrants » qui obligerait tout étranger à « avoir un emploi garanti par un employeur canadien » avant de poser les pieds au Canada. L’immigrant recevrait un « visa de séjour » renouvelable tant qu’il a un travail (évidemment, Picher ne dit pas ce qui attendrait un immigrant tombant sur le chômage pendant son « séjour »). Après avoir cumulé avec succès ces visas pendant quelques années (un peu comme des points Airmiles), l’étranger pourra enfin obtenir le statut d’immigrant reçu et, comble de générosité, de chance et de bonté, devenir citoyen canadien.

Après plusieurs générations, le travailleur immigrant sera devenu, tout comme Picher et son attachant compagnon, un « Canadien de souche ». En tant que payeur de taxe martyrisé par l’impôt, il pourra alors se plaindre des coûts engendrés par la venue d’étrangers au Canada. Ce droit, tout comme celui de détester les Indiens et de faire semblant d’aimer l’hiver, sera parmi les derniers à lui être accordé. À ce moment si lointain que Picher et Gubel ne seront probablement plus de ce monde, l’étranger sera réellement intégré à la nation canadienne, pays magnifique qui doit une grande part de sa prospérité à l’exploitation de la main d’œuvre immigrante… celle qui travaille et ne coûte rien.

Pour éviter les suspicions de racisme et de xénophobie, il faut que les Picher et Grubel s’en tiennent à une logique strictement comptable. Ainsi la cohérence la plus élémentaire voudra que les citoyens « de souche » qui souffrent d’une baisse de leurs revenus soient eux aussi invités à émigrer.

MARC-ANDRÉ CYR

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