À 50 ans, Richard Bergeron a un parcours qui l’a amené à travailler sur à peu près toutes les composantes du développement urbain. Bien que ses publications, rapports et conférences font référence, ses recommandations ont rarement été appliquées.
C’est que le monsieur en est venu à la conclusion que l’amélioration de la qualité de vie des citadins passe d’abord par la réduction de la circulation automobile. Or on ne bouge pas facilement la vache sacrée de l’auto, surtout lorsqu’elle s’est incrustée dans l’inconscient collectif nord américain à grands coups de publicités onéreuses qui font les choux gras des grands médias.
Contrairement à certains automobilistes qui ont « les tires larges mais l’esprit étroit », Bergeron s’est entouré d’alliés aux compétences plus larges que la seule problématique de l’auto. Avec Projet Montréal, il espère ainsi offrir, le 6 novembre prochain, une alternative au parti de Tremblay et de Bourque. Rien que pour ça, ça valait la peine de l’interviewer…
Le Couac (LC) : Nous sommes le dimanche le 18 septembre 2005 à l’investiture à la chefferie de Projet Montréal. Vous venez de recevoir le mandat d’être candidat à la mairie de Montréal pour la course électorale qui s’annonce. On a présenté tantôt 45 candidats et vous dites qu’il en viendra d’autres. Il y a donc du monde prêt à s’engager dans les voies moins faciles et à contre-courant que vous proposez ?
Richard Bergeron (RB) : Il y en a plus qu’on pense et l’exemple que je donne toujours, c’est celui du Suroît l’an dernier. Vous savez les gens souvent ça fait 10-15 ans qu’ils reçoivent des messages sur le développement durable, Kyoto, les changements climatiques… Et c’est comme si on mettait des gouttes dans un verre opaque et c’est un peu décourageant parce qu’on ne voit pas à quel niveau est rendu l’eau dans le verre. Mais le niveau monte. Et avec le Suroît l’an dernier, on a vu qu’entre la goutte qui manque pour faire déborder le verre et la goutte en question, il peut ne manquer qu’un événement déclencheur. Et tout d’un coup, à la surprise générale, arrive le Suroît qui a été comme une vraie traînée de poudre, la population s’en est mêlé et elle a dit : « Non. Hydro-Québec est un producteur d’énergie propre et on veut que notre fleuron national demeure un producteur d’énergie propre. »
La population ne le savait peut-être même pas elle-même qu’elle était prête à ça, nous ne le savions pas non plus, c’est l’événement qui a servi de moment de bascule. Je pense que Projet Montréal et le programme que nous proposons (voir encadré) peut jouer ce rôle de déclencheur.
LC : Si l’on se fait l’avocat du diable, on pourrait dire qu’un événement ponctuel, facile à comprendre, qui touche à l’environnement, est beaucoup plus mobilisateur que des enjeux politiques municipaux. Et surtout avec Tremblay et Bourque qui ont commencé leur campagne électorale avec les nids de poule, ça a dû vous faire sourire…
RB : Me faire sourire ? J’en ai honte, j’en ai honte ! On n’a pas le droit de prendre la population montréalaise pour une population niaise qui ne peut entendre rien d’autre qu’une surenchère entre les deux autres candidats pour savoir qui va mettre le plus d’argent dans les nids de poule. La population est rendue plus loin que ça ! Et à supposer qu’elle ne le soit pas rendu plus loin on n’a pas le droit de lancer comme thème de campagne une niaiserie comme les nids de poule, qu’on dise que l’avenir de Montréal c’est le débat sur les nids de poule. Non, nous à Projet Montréal on fait confiance à la population. Je ne crois pas que la population soit si peu informée.
LC : Votre formation politique est encore toute jeune…
RB : La formation du parti, c’était le 7 novembre 2004, un an avant l’élection municipale. On a fait un bon bout de chemin depuis on a plus de 700 membres, on a une superbe brochette de candidats (voir encadré), des gens de qualité dont la majorité ne sont pas connus. Mais au sein de notre équipe de candidats, il y a la nouvelle génération montante, les vedettes de demain. Alors que les vedettes d’aujourd’hui soient peu venues dans Projet Montréal, dans le fond on s’en fout.
On a aussi des gens qui font le lien entre le passé et l’avenir, des gens de la trempe de André Cardinal ou de Paul Cliche qui, n’eut été de ses problèmes de santé, aurait sauté dans le bataille. Et puis le 6 novembre au soir, le monde ne s’arrêtera pas de tourner c’est le tout début de Projet Montréal. On aura quelques élus, sans aucun doute. C’est presque pas possible qu’on n’en ait pas. Pas avec la qualité des gens qu’on a et la qualité du projet qu’on propose. Et puis on va changer les choses, graduellement, et en 2009 on verra. De l’eau aura coulé sous les ponts.
C’est pas très solides les châteaux de cartes des deux autres – Vision Montréal et l’Union des citoyens de l’île de Montréal (UCIM), pour ne pas les nommer – c’est des châteaux de cartes un peu abracadabrants. Déjà un château de cartes c’est pas solide quand les cartes ont toutes la même taille. Imaginez maintenant quand il y a des grosses cartes et des petites cartes. Ça va partir au premier coup de vent…
LC : Il y a des éléments progressistes au sein de ces partis-là qui hésitent encore à joindre vos rangs…
RB : Y’a de tout dans ces partis-là. Le grand succès du maire actuel c’est de laisser croire qu’il a réalisé une coalition arc-en-ciel. Mais nous, il nous apparaît que cette coalition est bien fragile. Il y a des gens aussi qui, sans vouloir être trop méchant, ont un peu monayé leur passé, soit à gauche, soit en environnement ou en développement durable. Ils se sont laissés tenter par une élection « clé en main ». C’est dur de résister à ça, vous savez.
Moi m’en aurait-on offert une que j’aurais envoyé promener l’émissaire… D’ailleurs, pour tout dire, ça m’a été offert ! Et je les ai envoyé promener royalement ! Mais reste que ça peut être des offres qui sont tentantes.
Il faut savoir résister à ce chant des sirènes. Moi, ma fierté, c’est le cheminement que j’ai eu (voir l’encadré), c’est ce que j’ai produit, c’est les gens que j’ai rencontrés. Si je n’avais pas fondé Projet Montréal je n’aurais pas rencontré tout ces gens merveilleux. Je ne connais plus tout le monde maintenant parce qu’il y en a trop, mais j’en connais au moins 150 intimement. C’est ça ma rémunération à moi, c’est ça mon plaisir.
LC : En fin de compte, vous vivez beaucoup en ce moment ce que vous prônez pour l’ensemble de la population.
RB : Bien sûr. Je me suis imposé comme médecine personnelle de renoncer à l’auto il y a 20 ans. Bon, il y a eu des bouts où je n’avais pas assez d’argent pour avoir une auto, alors là c’est sûr que c’est moins vertueux un peu (rires)… Mais le fait est que depuis 20 ans je n’ai pas d’auto et j’ai ajusté ma vie en conséquence. Il faut être cohérent. On ne peut pas parler d’un côté et agir de l’autre.
Tu te mets alors à vivre autrement. C’est sûr que la phase de transformation est difficile. Parce qu’au début, tu ne vas plus où tu allais. Tu peux te sentir largué, mais c’est parce que tu n’as pas encore appris la nouvelle manière de vivre. Mais dès que tu commences à découvrir les nouveaux réseaux, les nouvelles façons de te déplacer, c’est le bonheur. Moi quand je vois des gens mettre de l’argent dans un parcomètre, je me dis quelle absurdité ! Les gens mettent des pièces pour acheter un droit pour mettre leur gros paquet de métal, de plastique et de verre à un endroit. C’est ahurissant…
LC : Récemment, ils ont fermé une rue durant trois jours près de chez moi pour refaire l’asphalte. Or il s’est installé une espèce de tranquillité sur cette rue, les gens sortaient davantage, les enfants couraient, etc. Je sais que vous envisagez de telles mesures à Projet Montréal…
RB : Oui, et la beauté de la piste que tu empruntes là, c’est qu’elle ne coûte absolument rien. Mettre deux clôtures au bout d’une rue, fermer une rue commerciale et la rendre piétonne, les pistes cyclables, c’est rien en terme de coût. Quand t’as compris que la difficulté pour aménager une piste cyclable, c’est pas d’aménager la piste elle-même – un pot de peinture, quelques poteaux et c’est fini – la difficulté, elle remonte profondément aux valeurs des Nord-Américains, c’est de prendre cette décision d’enlever une ligne à l’auto, une bande de stationnement ou une voie de roulement. Parce que de l’espace, ça ne se crée pas, ça se prend. Et en vertu du consensus actuel, la rue appartient à l’auto.
Mais si on fait ce pas mental qui consiste à dire j’enlève une voie de stationnement ou de roulement, tu viens d’avoir une piste cyclable pour pas un sous ! Un petit dos d’âne, un petit réaménagement à l’intersection pour 20000$, c’est rien. Et en plus, t’en profite pour planter une couple d’arbres. Et là tu viens de changer radicalement une rue dangereuse en un cadre de vie pour 100 ou 200 ménages avec quelques milliers de dollars.
Donc le pas à faire, il est d’abord mental. Mais tout ça peut être fait avant d’arriver au tramway. C’est sûr que le tramway électrique que Projet Montréal veut réintroduire dans notre ville, ça va coûter de l’argent. Mais pour très peu d’argent, on peut changer la manière de vivre dans la ville. Le principal obstacle, c’est le blocage mental des autres qui se disent « l’auto c’est le développement », « le pétrole, c’est la modernité ». Et tout ça c’est même pas réfléchi, ça a été enraciné dans notre inconscient. C’est le paradigme du « je crois en l’auto ». Alors une fois que t’a réussi à abattre ça, c’est étonnamment facile de faire des choses…
LC : C’est quand même un gros géant à abattre…
RB : Oui, mais il a déjà été abattu ailleurs. Je ne vois pas pourquoi on serait plus bête ici ! Nous ne somme pas plus bêtes que les gens de Houston, Texas, qui ont fermé l’équivalent de leur rue Ste-Catherine pour y mettre un tramway et la piétonniser. Si les texans de Houston ont été capables de faire ça, comment soutenir que nous on serait pas capable de le faire ? Il faudrait vraiment que l’on soit les derniers imbéciles du monde ! Et ça je n’y crois pas. J’ai confiance en mon peuple.
Propos recueillis par Bruno Dubuc
Simple rappel : Les élections municipales auront lieu dimanche le 6 novembre prochain.
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