Les Allemands veulent des réformes, mais pas n’importe lesquelles. Face aux défis du vieillissement, de la mondialisation et du gouffre financier est-allemand, les partis politiques pédalent et font du surplace.
Le 18 septembre dernier, 47 millions d’électeurs Allemands, soit 77% des inscrits ont voté. Placés devant cinq millions de chômeurs, une croissance économique stagnante et des réformes libérales mal comprises, ils n’auront pas été dupes. Le résultat est cinglant.
Ils ont dans un premier temps montré clairement leur index à l’endroit de la coalition sortante des sociaux-démocrates (SPD) et des verts. Si le SPD de Gerhard Schröder perd deux millions de votes pour atterrir à 34,5%, les verts minimisent les dégâts avec un honorable 8,1%. Dans un deuxième temps, l’échec de la droite est retentissant. La CDU/CSU d’Angela Merkel ne récolte qu’un maigre 35,2% des voix. Même la surprenante performance de ses alliés néolibéraux du FDP (9,8%) ne suffit pas à entraîner l’Allemagne sur les rails de réformes tranchantes. Seul le nouveau parti socialiste Linkspartei, fusionnant à la va-vite sociaux-démocrates défroqués et ex-communistes des nouveaux Länder (ex-RDA) double sa performance de 2002 et refait son entrée au Bundestag avec 8,7% des voix.
L’Allemagne désavoue les réformes néolibérales à la Schröder. Elle ne fait pas pour autant confiance à une droite conservatrice qui ne ferait qu’accentuer des réformes jugées trop sévères. Les électeurs de droite ont préféré supporter le FDP tandis que les déçus de la gauche se rabattent sur la Linkspartei.
Si la sanction électorale est claire, la gouverne du pays l’est beaucoup moins. Le parti le plus fort, soit la CDU et son petit clone bavarois, n’a pas de majorité et devra probablement s’allier au parti de Schröder dans une coalition éléphant. D’autres scénarios de coalition improbables sont envisagés. Mais en aucun cas celui d’une alliance de la majorité de gauche ne pourra passer. Schröder ne voudra pas quémander un appui à la pièce aux socialistes du Linkspartei qui détestent à peu près tout de l’Agenda 2010 du chancelier. Cet agenda propose la flexibilisation du code du travail en faveur des employeurs, des incitatifs à l’emploi et des mesures de pénalisation pour les chômeurs et assistés sociaux. Il s’accompagne par ailleurs de réformes en santé (augmentation des prestations), en éducation (introduction inévitable de frais de scolarité) et en politique étrangère (plus grand rôle diplomatique et militaire).
Le Linkspartei devient pourtant l’irritant premier de tout gouvernement et ce, malgré sa connexion à un passé totalitaire et sa déconnexion des mouvements sociaux. Il est la seule fraction parlementaire à pouvoir offrir une critique sans détour de la dérive néolibérale de l’Allemagne.
Le chancelier Schröder l’a dit le soir de l’élection : les médias se sont mis le doigt dans l’œil. Leur volonté d’influence exprimée par une frénésie de sondages, des opinions d’éditorialistes festoyant l’arrivée certaine de réformes radicales et les critiques acerbes des quelques politiques progressistes de la coalition rouge-verte n’auront pas eu raison du vote populaire. La droite a eu tort de croire pouvoir tout rafler avec une campagne médiocre, un agenda anti-social et un leadership déficient. Leur slogan « ce qui est social, c’est ce qui crée de l’emploi » tombe à plat.
Au-delà du fait que la coalition sortante s’est largement inspirée de la Third Way de Tony Blair pour marquer ses réformes, il faut constater que l’immobilisme est tout aussi condamnable. Le vieillissement de la population (moyenne de 9 ans de plus qu’au Canada), les pressions de l’économie mondialisée (délocalisations massives, remise en question du modèle du capitalisme industriel allemand) et des transferts dits de « solidarité » vers le gouffre qu’est l’Allemagne de l’est, saignent l’Allemagne à blanc. La question est donc de savoir comment il est possible de mener des réformes qui restent équitables dans le futur, tout en créant des emplois. L’Allemagne en a t-elle la capacité ? Est-il déjà trop tard ? À cette question, aucun parti n’a vraisemblablement convaincu l’électorat.
Frédéric Dubois
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