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La saga qui dure et endure

La réforme du mode de scrutin au Québec est une histoire épique jonchée de plusieurs épisodes échelonnés sur 40 ans. Le doyen des réformistes, Paul Cliche, a tendance à parler de la “saga de la réforme du mode de scrutin”. Cette saga pourrait se terminer par un mini-coup d’État par le biais du mode de scrutin orchestré par le pouvoir… ou par un changement significatif et ancré dans l’expression d’une volonté citoyenne éclairée.

Pour comprendre où on est, il faut comprendre d’où on vient. Il faut savoir que le gouvernement, au dernier mandat, a proposé un mode de scrutin qui permettrait à l’un des côtés du spectre idéologique – devinez lequel ? – de bénéficier d’un bonus de représentation variable, allant de 0 à 10 %. C’est donc dire que l’une des coalitions présumées, dans le présent contexte partisan au Québec, aurait besoin de 40 à 50 % du vote populaire pour gouverner, tandis que l’autre coalition présumée, elle, aurait besoin de 50 à 60 % pour former le gouvernement. Ce joyeux résultat est obtenu en faisant en sorte que les partis politiques qui obtiennent moins de 10-13 % du vote populaire soient représentés, mais gravement sous-représentés. Ainsi, la coalition présumée PQ-PVQ-QS, si l’un ou plusieurs des partis obtiennent moins de 10-13 %, requerrait significativement plus que 50 % du vote populaire pour former le gouvernement. Je qualifie donc cette proposition de mini-coup d’État de la droite par le biais du mode de scrutin ou, alternativement, de gifle en plein visage du mouvement de réforme. Il s’agit en fait d’une tentative de récupérer ce mouvement à des fins manifestement partisanes.

Ce qui est désolant, c’est que le mouvement de réforme du mode de scrutin a réagi en continuant de faire pression sur le gouvernement afin qu’il change le scrutin québécois, alors qu’une autre alternative plus sûre et démocratique existe et a été expérimentée précédemment : celle de l’Assemblée citoyenne. C’est une voie originale qui consiste à donner le pouvoir d’initiative référendaire sur une question précise, comme le mode de scrutin, à une assemblée constituée de citoyens sélectionnés de manière aléatoire au sein de la population. Cette voie, utilisée en Colombie-Britannique et en Ontario pour réformer le mode de scrutin, permet d’assurer que la réforme se fasse, car le processus, une fois enclenché, est mené à terme, mais aussi d’assurer que la réforme, surtout, se fasse bien, car la volonté exprimée est alors celle d’un échantillon de la population, et non celle des partis politiques au pouvoir. Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans le fait de demander aux députés de modifier leur propre mode d’accession au pouvoir, et pourtant, c’est ce à quoi s’affaire le Mouvement pour une démocratie nouvelle (sic) et ses alliés. Ce « sic » signifie que la voie citoyenne susmentionnée est la forme de démocratie nouvelle, et que les façons de faire du MDN, elles, sont plutôt anciennes.

Il s’agit en fait de se complaire dans sa position de chialeux et de revendicateur auprès du gouvernement, et de se féliciter lorsque le roi-élu ou son valet daignent accorder une entrevue ou une attention spéciale à un courtier du pouvoir. Il s’agit d’être complice de l’infantilisation des citoyens québécois, qui seraient incapables de décider pour eux-même du régime de scrutin qui les sied. Il s’agit de faire du lobbying, alors que ça ne fonctionne pas, tout en espérant – très fort – que le gouvernement pliera à ses revendications en faisant abstraction de ses propres intérêts… Il s’agit de faire en sorte que la saga dure, que son aboutissement éventuel ne puisse être qu’un mode de scrutin pollué par des intérêts partisans et que l’on rate une chance en or de faire les choses autrement. Voilà, en gros, la stratégie du MDN et de ses alliés.

La voie citoyenne, elle, a contrario, permet d’assurer que la réforme se fasse, qu’elle se fasse bien et qu’elle fasse précédent. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, mais une fois le processus d’Assemblée citoyenne enclenché, il aboutit. Naturellement, l’aval populaire par référendum est nécessaire, mais c’est la moindre des choses pour changer ce qui est, finalement, la pierre angulaire de la démocratie représentative. Parce que ce sont des citoyens qui décident, et parce que le processus est mûr au Québec – après beaucoup de consultations et de délibérations sociales – il est clair que le résultat serait satisfaisant et légitime. Franchement, ça ne peut pas être pire que de négocier une entente à l’amiable avec une entité partisane à la fois juge et partie. Ensuite, cette voie constitue une avancée significative pour la démocratie en donnant le pouvoir d’initiave référendaire aux citoyens, elle habilite ceux-ci et en fait des citoyens actifs – au lieu d’être des citoyens passifs et souvent frustrés et cyniques. Pour une démocratie nouvelle, donc, il n’y a pas mieux, à notre avis, que la voie de l’Assemblée citoyenne.

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