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Jaggi Singh échappe à nouveau au harcèlement policier

Si les procès de militants ressemblent souvent à d’interminables et monotones sagas kafkaïennes, la comparution de Jaggi Singh du lundi 27 novembre dernier à la cour municipale de Montréal avait davantage l’allure d’un captivant film de procès. Et cela, pour deux raisons : d’abord son happy end, puisque Singh, après s’être magistralement défendu, est sorti de la cour en homme libre ; et ensuite parce que ce procès n’était ni plus ni moins qu’une démonstration des tactiques légales destinées à faire taire un « manifestant dérangeant ».

Manifestant dérangeant… C’est ainsi que la preuve déposée par le procureur de la Couronne qualifiait Jaggi Singh. Et c’est ce qui, toujours selon la Couronne, avait justifié son arrestation avant même le début du point de presse où le premier ministre Stephen Harper venait annoncer l’injection de fonds pour la recherche sur le cancer à l’Hôpital général de Montréal trois jours plus tôt. Singh n’a donc jamais eu le temps de poser ses questions « dérangeantes » à Harper sur les troupes canadiennes en Afghanistan ou sur l’appui donné à Israël par le Canada lors de l’invasion du Liban en juillet dernier.

Résumons donc la situation. Un citoyen canadien se présente à une conférence de presse publique pour confronter son premier ministre sur des questions d’intérêt national. La GRC le repère et demande à la sécurité de l’hôpital de le sortir. Singh refuse, rappelle que dans une démocratie un citoyen peut demander des comptes à ses élus et résiste défensivement à son arrestation. On l’amène à la prison de Rivière-des-Prairies où il croupit trois jours sans avoir accès à une douche, dormant sur un banc et n’ayant que des sandwichs au fromage comme repas. Et la cerise sur le sunday ? Le procureur de la Couronne qui demande une incarcération préventive jusqu’à son procès qui ne pourrait avoir lieu que dans… plusieurs mois !

Ce procureur de la Couronne au casting parfait, dynamique et flamboyant comme une tortue grise sous un ciel d’automne, fondait cette demande pour le moins disproportionnée face à « l’offense » commise, sur trois menaces pour lui imminentes : la menace que M. Singh fuit et ne se présente pas à son procès ; la menace qu’il récidive d’ici son procès ; et la menace que sa remise en liberté remette l’administration de la justice en question.

Maître Pascal L’escarbot, agissant comme « ami de la cours », s’est alors empressé de rappeler au juge la feuille de route de Jaggi Singh, à savoir 5 procès gagnés sur 6 au cours des dernières années (le sixième étant en appel), et a expliqué au juge qu’il aurait plutôt fallu attacher M. Singh pour l’empêcher de venir mener ce énième combat judiciaire ! Exit la première menace, que la Couronne retire aussitôt…

Durant sa plaidoirie, Jaggi Singh n’a pas essayé d’esquiver la menace de récidive. Au contraire, il a assuré la cour que si une situation semblable se représentait, il serait à coup sûr au premier rang pour confronter le gouvernement canadien sur ses décisions meurtrières. Il a même admis qu’il le ferait sans doute en étant impoli puisque la gravité de ces décisions le scandalisait. Mais depuis quand, a-t-il demandé au juge, l’impolitesse est-elle passible d’emprisonnement ? Depuis quand le droit d’interpeller ses élus est-il punissable ? Dur coup à la deuxième menace invoquée par la Couronne. La tortue rentre un peu la tête…

Quant à savoir si sa remise en liberté allait discréditer l’administration de la justice, Singh, en fin rhéteur, a montré que ce serait plutôt son emprisonnement préventif pendant des mois, pour une condamnation éventuelle de tout au plus quelques semaines de prison, qui serait embarrassant pour l’institution judiciaire.

Il est toujours intéressant de décoder le langage non verbal d’un juge durant la plaidoirie des deux parties. Dans ce cas-ci, quand la baboune que le juge arborait quand il se faisait « instruire » par la Couronne s’est peu à peu transformée en regard intéressé et même amusé devant l’audace et l’intelligence du propos de l’accusé, les soixante ou soixante-dix supporters qui s’étaient déplacés sur les heures de bureau pour assister au procès ont senti que le vent tournait du bon bord. Quand à la tortue, on n’en voyait plus que la queue…

Dans son verdict, le juge a refusé, comme lui suggérait la Couronne, de considérer la réputation de l’accusé. N’ayant pas de passé criminel, le juge a dit qu’il devait considérer cet homme sur les gestes posés, comme s’il s’agissait d’un quelconque monsieur Tremblay plutôt que comme Jaggi Singh. C’est ainsi qu’un monsieur (Johnny ?) Tremblay qui se serait comporté comme dans les faits rapportés, et qui aurait de plus reçu les témoignages de confiance de quatre témoins comme ce fut le cas ici (dont deux employeurs professeurs d’université et un médecin), ce monsieur n’aurait jamais été considéré comme étant une quelconque menace pour la société et aurait été remis en liberté sur le champ. Ce que le juge ordonna, au grand soulagement de l’accusé et de ses amis.

Restait la question des conditions de libération. La première, une caution de 2000$ fut acceptée sans problème par l’accusé. Quant à la seconde, c’est ici que la représentation devint éducative… Car il faut toujours se méfier d’un animal vaincu, fut-il une petite tortue effarée qui gigote sur le dos… Son bec acéré peut jaillir comme un éclair lorsque la liberté semble gagnée et la miner d’une morsure garante de plusieurs autres représentations…

Car comment interpréter une condition de libération comme « devoir quitter toute manifestation qui devient violente » ? Quelle règle vague à souhait permettant d’arrêter à nouveau M. Singh au moindre graffiti ou carreau brisé à des dizaines de mètres de lui ! Mais pour le juge, qui a bien fait son travail durant ce procès mais qui demeure un juge, avec ses repères de bourgeois bien-pensant, M. Singh a le jugement nécessaire pour quitter une manifestation qui tourne au vinaigre. Et l’on imagine ici la conception claire et sans ambiguïté d’une manif violente pour le juge : autos renversées et affrontements rangés entre la police et les manifestants, tel que rapporté par les grands médias. Mais quiconque a déjà participé à une manif sait très bien que ça ne se passe pas ainsi.

Voilà pourquoi tous les Johnny Tremblay de ce monde auront toujours une liberté bien conditionnelle. Et pourquoi les tortues ont toujours cet espèce de petit sourire narquois au bec…

BRUNO DUBUC

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