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LE WATERGATE DE BUSH L’affaire Plame se métastase

Malgré les attentats terroristes de Londres et la tentative de Bush de détourner l’attention des médias en nommant un juge conservateur à la Cour Suprême plus tôt que prévu, l’affaire Valerie Plame (voir l’encadré Plamegate ci-dessous) demeure le dossier chaud de l’été dans la presse étasunienne. De plus en plus de gens croient que tous les éléments sont en place, pour que le « Plamegate » devienne le Watergate de George W. Bush.

La journaliste Judith Miller du New York Times (NTY) est en prison depuis le 6 juillet pour avoir refusé de dévoiler la source d’un article qu’elle n’a pas écrit sur l’affaire. Son emprisonnement a eu le mérite d’attirer l’attention des médias sur un événement presque passé inaperçu il y a deux ans, qui prouve que le président Bush savait qu’il mentait en affirmant dans son discours sur l’État de l’Union du 28 janvier 2003, que : « Le gouvernement britanique a appris que Saddam Hussein a tenté récemment de se procurer d’importantes quantités d’uranium en Afrique » (notre traduction).

Même s’il est toujours triste de voir une journaliste emprisonnée, on peut dire que Judith Miller a mérité son triste sort. Malheureusement, à l’exemple d’Al Capone, elle n’y est pas pour les bonnes raisons (voir l’encadré ci-dessous). Les éditeurs du NYT et les éditorialistes de la grande presse commerciale, ont présenté Miller comme une héroïne de la liberté de la presse. Une opinion qui ne fait pas l’unanimité.

Fairness & Accuracy in Reporting, (FAIR www.fair.org) a publié une analyse médiatique sur l’affaire, titrée : Défendre Miller, un choix indéfendable. On y explique en substance que le but de la confidentialité des sources journalistiques est de protéger l’identité des dénonciateurs (whitleblowers) qui prennent des risques en dévoilant des renseignements d’intérêt public cachés par un gouvernement, une multinationale ou une organisation criminelle. Même les éditorialistes du NYT reconnaissent que la protection des sources n’est pas absolue, et que l’intérêt public doit primer sur la protection d’un criminel.

Les membres du gouvernement Bush, que ce soit Karl Rove, « Scooter » Libby, ou un autre, n’ont pas dévoilé aux journalistes le nom d’une agente de la CIA pour défendre l’intérêt public, mais pour les manipuler. « Il est difficile de soutenir que l’intérêt public est bien servi quand un membre influent du gouvernement punit un dénonciateur en dévoilant des renseignements classés secrets », peut-on lire dans le rapport de FAIR.

Le journaliste Greg Palast a écrit :« Karl Rove ou n’importe membre du régime Bush […] n’est pas une source mais un fonctionnaire du gouvernement qui utilise une information confidentielle pour commettre un crime dans le but de punir un vrai dénonciateur » (www.gregpalast.com). Rove, un homme machiavélique spécialistes des coups fourrés, savait qu’en dévoilant le nom de Valérie Plame à des journalistes, ceux-ci seraient moralement tenus de protéger son identité. Pour Bill Israël, professeur de journalisme qui a enseigné Presse et politiques au côté de Rove à l’Université d’Austin au Texas, le Plamegate est l’exception qui confirme la règle. « Les journalistes en tant que communauté ont été pris pour des pigeons par le stratège en chef du président, Karl Rove, en lui permettant d’abuser du Premier Amendement, en l’invoquant. […] Quelle belle façon d’enfreindre la loi sans contrainte ou de camoufler un crime sous le couvert du journalisme […] » (Editor & Publisher 5-7).

Greg Palast croit que les journalistes n’auraient jamais dû protéger Rove, mais le dénoncer dès le début. Palast écrit : « Le Times (NYT) aurait dû publier un article titré : L’HOMME DE MAIN DE BUSH COMMET UN CRIME POUR PUNIR UN DÉNONCIATEUR » (majuscules de l’auteur).

Mais la grande question c’est : qui a dit à Karl Rove et Lewis Libby que Valerie Plame était un agente de la CIA ? Aux dernières nouvelles, l’information viendrait d’un mémo commandé par le Département d’État amené à bord d’Air Force One pas Collin Powell lors d’un voyage en Afrique en juillet 2003. Karl Rove n’était pas du voyage. De plus, Rove a signé une décharge libérant les journalistes de leur parole et leur permettant de témoigner. Ce qui a incité les journalistes impliqués à collaborer à l’enquête. Seule Judith Miller a refusé de témoigner. Protégerait-elle quelqu’un de plus important que Rove ? That is the question !

Karl Rove, est l’arbre qui cache la forêt. Inutile de faire tomber Rove. S’il perd son poste officiel, il ira faire le même travail comme consultant privé. L’enjeu est beaucoup plus important. Rove est l’homme de main de Bush. Il n’a pas agi seul, ni dans son intérêt personnel. Comme d’autres l’ont fait remarquer, l’important, ce n’est pas tant que le nom d’un agent secret ait été rendu public, mais que le clan Bush ait utilisé une information classée top secret pour salir un adversaire politique. Pire, le président a menti sciemment à la population des États-Unis dans son discours sur l’État de l’Union. Un mensonge qui devrait logiquement conduire à sa destitution. Richard Nixon a dû démissionner après avoir menti dans l’enquête du Watergate, et les Républicains ont tenté d’avoir la peau de Bill Clinton parce qu’il aurait menti à la nation en déclarant : « Je n’ai pas eu de relation sexuelle avec cette personne », à l’enquête du Zippergate.

Les démocrates, John Kerry en tête, réclament une enquête du Congrès. « Le scandale se métastase. C’est le modèle du Watergate. Ce qui au départ semblait être un incident isolé se révèle graduellement être une parcelle d’un large abus de pouvoir » (Operation Coverup éditorial du Los Angeles Times 27-7). « Le rôle de Rove et de ses associés est un petit incident dans un très vaste scandale – l’effort de tromper l’Amérique en laissant croire qu’elle faisait face à une menace suffisante pour justifier une guerre. » (Christian Science Monitor 15-7). Les médias réalisent, un peu tard, qu’un petit groupe de faucons néoconservateurs a profité des attentats du 9/11 pour faire une guerre criminelle injustifiée dont ils faisaient la promotion depuis au moins une décennie. Ils ont manipulé les journalistes pour arriver à leur fins, et provoqué la mort de milliers de civils irakiens et de soldats étasuniens.

On exécute pour bien moins que ça dans le Texas de George W. Bush. Si seulement on leur imposait à chacun, un an de prison par bombe à fragmentation tombée sur Bagdad, on serait débarassé de ces fripouilles pour quelques milliers d’années.

JACQUES BOUCHARD

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ENCADRÉ : Le Plamegate

L’histoire a réellement commencé à la fin de 2001, quand les services secrets italiens ont « découvert » certains documents démontrant que Saddam Hussein aurait tenté de se procurer de l’uranium au Niger, dans le but de fabriquer des bombes atomiques. En février 2002, la CIA alertée par les Italiens, envoie en mission spéciale au Niger l’ex-ambassadeur Joseph C. Wilson IV pour faire enquête. Wilson a rapidement réalisé que les documents obtenus des Italiens étaient contrefaits, en a informé la CIA, qui a transmi un rapport à la Maison Blanche. Mais, les stratèges du clan Bush, décidés d’attaquer l’Irak coûte que coûte, ont quand même inclus la fameuse déclaration non fondée sur l’uranium « africain » dans le discours de Bush en janvier 2003, en dépit des réticences de la CIA.

Le 7 juillet 2003, le New York Times publie une lettre ouverte de Wilson accusant l’administration Bush d’avoir manipulé les renseignements sur les programmes d’armement de Saddam Hussein, pour justifier l’invasion de l’Irak. La lettre déstabilise le clan Bush. Wilson est un diplomate de carrière et sa crédibilité ne peut pas être mise en doute. Embarassée, la Maison Blanche admet à contrecoeur que les allégations sur l’uranium n’auraient pas dû se retrouver dans le discours sur l’État de l’Union, et George Tenet, alors directeur de la CIA, joue le bouc émissaire.

Une semaine plus tard, le 14 juillet, le columnist conservateur Robert Novak écrit que l’administration Bush n’avait pas trouvé convainquant le rapport de l’ex-ambassadeur Wilson, sur les tentatives de Saddam Hussein de se procurer de l’uranium au Niger. Selon deux représentants anonymes de l’administration Bush, qui se sont confiés à Novak, Wilson était peu crédible parce qu’il aurait obtenu sa mission grâce à sa femme Valerie Plame, travaillant pour la CIA sur le dossier des armes de destruction massive (ADM).

C’est là que la marde a frappé les pales du ventilateur, comme disent nos voisins Anglos. La CIA s’est sentie trahie. Il est interdit aux employés et aux membres du gouvernement de dévoiler l’identité d’un agent secret. Les contrevenants sont passibles de dix ans de prison. Valerie Plame était une agente civile sans couverture diplomatique, c’est-à-dire en mission secrète. Plame une spécialiste des ADM était employée par Brewster-Jennings & Associés, un front de la CIA. Comme l’ont expliqué aux médias d’anciens agents, dès la publication de son nom, les services secrets de tous les pays ont passé au crible leurs bases de données. Toutes les personnes avec qui Plame a été en contact se trouvaient automatiquement « brûlées » et la sécurité de certaines d’entre elles était compromise. La compagnie paravent a dû cesser ses activités. Pour certains, dévoiler l’identité d’un agent secret en temps de guerre est une trahison.

La CIA a réclamé une enquête. Karl Rove, le conseiller politique de Bush a été le principal suspect dès le début. On sait aujourd’hui que dans les jours suivant la publication de la lettre de Wilson, Fleur de bouse1 et Lewis « Scooter » Libby, le bras droit de Dick Cheney, ont contacté au moins six journalistes, non pas pour leur couler des renseignements, mais pour les convaincre de ne pas écrire sur l’affaire Wilson. Ils n’avaient pas l’intention de dévoiler l’identité de Valerie Plame, mais de détruire la crédibilité de Wilson, en laissant croire qu’on lui avait confié la mission grâce à l’intervention de son épouse. On sait que Rove a conseillé au journaliste Matthew Cooper « de se tenir loin de Wilson ».

Rove et Libby ont tenté d’étouffer l’affaire Wilson dans l’œuf. Ils ont fait le pari que les journalistes n’écriraient pas sur le sujet, pris entre l’obligation de protéger leurs sources et la crainte d’enfreindre la loi en dévoilant l’identité d’un agent secret. Judith Miller, la spécialiste des ADM au New York Times n’a justement pas écrit sur le sujet…

Rove et Libby ont perdu leur pari et leur magouille leur a pété au nez.

1 – On surnomme Rove le Cerveau de Bush. Doublevé pour sa part l’appelle « Turd Blossom » (Fleur de bouse : nom vulgaire d’une fleur texane qui pousse sur les bouses).

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ENCADRÉ : Qui a contrefait les documents du Niger ?

Vincent Cannistaro, l’ancien directeur du contre-terrorisme de la CIA et directeur du renseignement au Conseil de la sécurité nationale sous Ronald Regan a déclaré lors d’une interwiew à KPFK, une station radio de Los Angeles en avril dernier que : « Les documents du Niger ont apparemment été fabriqués aux Etats-Unis, pour être rendu public par le biais des Italiens. »

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ENCADRÉ : Pourquoi Judith Miller mérite la prison

Ironiquement, Judith Miller n’a pas écrit d’article à la suite de l’appel de Karl Rove. Apparemment, un autre témoin a cité son nom pendant une déposition. Si Miller a bien mérité de se retrouver à l’ombre, c’est pour avoir trompé l’opinion publique et contribué largement à fabriquer le consentement à la guerre d’Irak. Il est assez contradictoire qu’elle se place aujourd’hui en protectrice du droit à l’information, après avoir si bien trompé ses lecteurs.

Judith Miller est une journaliste vedette du New York Times (NYT) spécialisée dans les « armes de destruction massive » (ADM). « Elle est la personne qui a fait le plus, à l’exception peut-être de George Bush, pour propager l’idée que le régime de Saddam Hussein possédait des ADM, et par extension, que la guerre avec l’Irak était nécessaire et inévitable » (Salon 28-12-04). Miller a écrit de nombreux articles « exclusifs » sur l’arsenal imaginaire de Saddam Hussein : les tubes d’aluminium qui devaient servir à produire de l’uranium, les histoires de manufactures d’armes souterraines, d’armes chimiques ou bactériologiques, de programmes nucléaires, de bunkers antinucléaires et autres histoires d’horreur inventées qui ont servi à promouvoir l’invasion de l’Irak. Tout faux. Une bonne partie de cette désinformation a été publiée à la Une du NYT, et reprise chaque fois par les faucons du clan Bush dans leurs apparitions publiques. Les articles de Miller, leur ont servi de « preuves » d’un danger imminent. Et les journaux du monde entier ont fait l’écho.

La plus grande partie de la désinformation relayée par Judith Miller avait comme source Ahmed Chalabi du Congrès national irakien (CNI), l’homme qui voulait être calife à la place du calife. Chalabi et le CNI étaient financés par le ministère de la Défense des États-Unis pour fournir les renseignements. Miller a déclaré couvrir Chalabi depuis environ dix ans et qu’il « lui avait fourni la plupart des renseignements des articles exclusifs sur les ADM qui ont fait la Une du journal » (New York Review of Books 26-2-04). De plus, Miller a systématiquement occulté dans ses articles, les rapport des agences gouvernementales et internationales contredisant les allégations de ses protégés.

Les articles de Judith Miller sur les ADM ont discrédité le quotidien new yorkais qui a dû publier des excuses publiques en éditorial… en mai 2004, plus d’un an après le début de la guerre.

Difficile à dire jusqu’à quel point Judith Miller est responsable de la guerre en Irak, mais une chose est sûre, quatre mois de prison c’est peu cher payé pour le rôle qu’elle a joué.

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