Le vendredi 10 novembre dernier était projeté à l’ONF Bledi, mon pays est ici, de Malcolm Guy et Eylem Kaftan. Un film présenté dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal.
Bledi, mon pays est ici relate la trajectoire de Mohamed Cherfi, militant engagé, leader du Comité pour les Algériens sans statut qui, menacé d’expulsion, avait pris sanctuaire dans une église de Québec. On connaît la suite : violation du sanctuaire par la police, expulsion vers les États-Unis. Et c’est le pays de Georges W Bush qui a finalement accordé à Cherfi le statut de réfugié. Ici, le gouvernement s’obstine toujours à l’empêcher de revenir à Montréal, auprès de ses amis et de sa conjointe.
Ce film nous a poussé à aller rencontrer Abdelkader Belaouini, un autre algérien à qui on a refusé le statut de réfugié et qui vit depuis 11 mois à l’intérieur de l’église St-Gabriel, dans Point-St-Charles. Cet homme est aveugle depuis près de 20 ans et diabétique.
Le Couac : Kader, pouvez-vous nous rappeler ce qui vous a amené à prendre sanctuaire ici ?
Kader Belaouini : L’année passée, le 21 novembre, j’avais rendez-vous à l’immigration. Ils voulaient m’annoncer que je n’étais pas accepté comme réfugié. Les deux raisons qu’ils m’ont données, c’est que je n’avais pas travaillé et que je n’avais pas de famille. Quand je suis sorti du bureau, je me suis dit que ces deux raisons-là n’étaient pas justes, que c’était pas humain. Et je me suis demandé : « Est-ce que je laisse les choses passer ? Est-ce que je ferme ma gueule ? » Et j’ai décidé que non, que je n’allais pas fermer ma gueule.
Parce que ce qu’a dit l’agent, que je ne travaille pas, c’est faux : j’ai travaillé dans deux places différentes, mais comme bénévole. Et pour lui, du travail gratuit, c’est pas du travail.
Et la question qu’il m’a posé sur la famille « Est-ce que vous avez une conjointe ? » Je trouvais cette question menaçante, mais je ne pouvais pas le dire. J’ai pensé « Pourquoi moi ? » Pourquoi on demande pas au ministre Boisclair pourquoi il est gay ? Pourquoi moi ? C’est une discrimination, c’est ma vie privée.
De toute façon, c’est pas vrai, les raisons qu’ils ont données. Parce que si j’avais eu une conjointe, si j’avais eu un travail, il m’aurait discriminé parce que je suis aveugle. Parce qu’ils croient que je suis un fardeau pour la société. Mais je suis pas un fardeau, c’est leur système qui discrimine. J’ai cherché beaucoup de travail, mais on me demandait toujours si j’avais la citoyenneté. Et quand j’allais chercher des papiers (d’immigration, NDLR), on me disais qu’on ne pouvait pas me les donner parce que je n’avais pas de travail : c’est un cercle vicieux ! Alors, j’ai décidé de continuer à me battre pour mon statut, c’est pour ça que je me suis réfugié ici.
Le Couac : Est-ce que vous recevez ici les soins qui vous sont nécessaires ?
Kader : Oui, malgré le fait que je n’ai pas la carte d’assurance-maladie, le CLSC Côte-des- Neiges prend la responsabilité de me soigner, de me fournir le suivi médical et les médicaments jusqu’à ce que je sois accepté. Et le centre communautaire de Pointe St-Charles me permet d’avoir une infirmière qui vient me voir à chaque semaine.
Le Couac : Et comment va votre santé ?
Kader : Quand je suis rentré ici, je prenais une pilule. Je suis rendu maintenant à cinq pilules par jour. Je fais semblant d’aller bien, mais les médecins savent…
Le Couac : Est-ce que vous recevez beaucoup de visites ?
Kader : Oui, j’ai beaucoup d’organismes qui me soutiennent, qui m’appellent. Mon financement vient d’Action gardien qui regroupe beaucoup d’associations. Je reçois des repas de la banque alimentaire. Toute la communauté de Pointe St-Charles… je me dis si je sors, comment je vais réussir à leur dire merci ?
Le Couac : Il me semble aussi que vous avez des personnes qui vous parrainent pour obtenir le statut de résident permanent.
Kader : Oui, j’ai près de 60 organismes qui me soutiennent, des députés et même le responsable de l’immigration chez les conservateurs, même lui m’appuie.
Cinq personnes me parrainent directement et si on en veut plus, j’en ai plus. Et j’ai même un appartement pour moi.
Je me dis toujours « Est-ce qu’ils me détestent, est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? » J’ai jamais eu de problème avec la police.
Je suis fatigué, maintenant. Imaginez, nous les aveugles, on ne voit pas les choses qui se passent autour de nous, on n’est pas libre. Je suis déjà puni..
Le Couac : Oui, c’est comme un double enfermement.
Kader : C’est ça. Personne dans le gouvernement est humain. Vous pouvez écrire ça. Si quelqu’un croit en Dieu, comme les conservateurs maintenant… Je me demande comment on peut être religieux si on n’a pas la compassion et la justice dans son cœur ? Est-ce qu’ils dorment bien ? Avec quelqu’un d’aveugle enfermé comme ça ? Ça va faire onze mois…
Au début, moi j’avais pas peur des conservateurs, mais maintenant tout le monde commence à avoir peur.
Le Couac : Si vous êtes expulsé en Algérie, à quoi ressemblera votre vie là-bas ?
Kader : Mes parents sont morts à 56 ans chacun et j’ai 3 frères et 2 sœurs. Ils sont tous mariés ou vont se mariés bientôt. Ils ont des enfants, leur vie.
Je sais même pas où habitent mes frères maintenant et quand j’y pense, je me demande : « Je vais faire quoi là bas ? » J’ai peur. Après onze ans, qu’est-ce que je vais faire là-bas ? Ma vie est ici. Et je ne sais pas ce qui va m’arriver.
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Le 1er décembre dernièr une marche, organisée par le Comité de soutien pour Kader et intitulée Notre communauté, notre choix : statut pour Kader, est partie de l’église St-Gabriel dans Pointe St-Charles pour terminer devant les bureaux d’immigration Canada.
Pour vous renseigner ou pour soutenir Kader :http://www.soutienpourkader.net/action_fr.html Kader anime Radio Sanctuaire sur la station de radio CKUT (90.3 FM) dans le cadre de Off the hour. Une fois par mois, le vendredi, de 17h à 18 h.
Isabelle BAEZ
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