La ministre Line Beauchamp annonçait en grande pompe en juin une entente avec les alumineries visant à réduire de 150 000 tonnes les émissions de CO2 dans l’atmosphère. La semaine suivante, son gouvernement donnait son aval au projet de port méthanier à Gros-Cacouna, qui émettra 130 000 tonnes de CO2. On venait en moins d’une semaine d’annihiler, ou presque, les efforts de réduction des GES (gaz à effet de serre) devant permettre au Québec de respecter les engagements de Kyoto. C’est ce qu’on appelle changer une piastre pour quatre trente sous !
Quelques jours plus tard, on évoque la possibilité d’un autre port méthanier sur la rive sud de Québec, le projet Rabaska. Cette fois, c’est le BAPE, bureau d’audience publique sur l’environnement du Québec ainsi que l’Agence canadienne d’évaluation environnementale qui venaient de déposer un rapport conjoint favorable au projet.
Les plus gros marchés pour le gaz naturel sont les centrales thermiques. Rappelons-nous du défunt projet du Suroît en 2003, à Beauharnois. Il a plus ou moins servi d’épouvantail pour faire passer en douce, presque sans aucun débat public, un autre projet tout à fait semblable à Bécancour. Il y a maintenant une centrale thermique alimentée au gaz au Québec. On la dit de cogénération parce qu’elle alimente en vapeur les installations industrielles environnantes. On entre ainsi dans la subtilité du calcul des rapports entre pollution générée et épargnée. C’est tout de même des GES en plus, nous éloignant des objectifs de Kyoto.
Dans les années ’90, les états de la Nouvelle-Angleterre ont tous refusé d’implanter des ports méthaniers. Au Québec, le gouvernement provincial, Hydro-Québec et l’entreprise privée ont financé des études d’exploration des réserves de gaz au fond du St-Laurent. Effectuées avec des navires dotés de puissants sonars, elles ont été abandonnées en raison des effets catastrophiques sur les baleines que ces ondes désorientaient. Avec un (ou deux ?) port méthanier, le jour est proche où l’on tentera de les relancer sous prétexte qu’extraire du gaz du St-Laurent coûtera moins cher que d’en exporter !
Le gaz naturel emmagasiné au Québec alimentera les marchés des États-Unis et de l’Ontario. Cela leur permettra, selon l’opinion des promoteurs validée par les rapports gouvernementaux, de réduire leurs émissions polluantes. Dans la réalité, nos voisins ouvrent de nouvelles centrales au gaz sans pour autant fermer les anciennes au charbon ou au mazout pour répondre à une demande toujours croissante d’énergie. C’est donc un argument basé sur une fausse spéculation.
On prétend que la consommation gazière va s’accroître au Québec. Elle a stagné ces dernières années et pourrait même diminuer. Le Ministère des ressources naturelles et de la faune prévoyait une croissance annuelle modeste de 1,6%. Qui n’arrivera pas vu que les récentes fermetures d’usines et de scieries dans le secteur des pâtes et papiers ont libéré l’équivalent de 12% de la consommation gazière du Québec ! Les autres marchés pour le gaz, comme le chauffage, stagnent également en raison du coût élevé des installations et du gaz lui-même.
On prétend encore que la présence de ports méthaniers au Québec aura un effet de stabilisation sur le prix du gaz. Même le BAPE ne croit pas à cet argument. La diversification des approvisionnements ne change rien aux lois du marché. Le prix du gaz, comme celui du pétrole, dépend de l’offre et de la demande au niveau mondial.
Il ne reste pas grand-chose de solide pour justifier ces projets. Et le processus d’évaluation a été totalement invalidé. Les organismes dont la mission consiste à évaluer les impacts sur l’environnement n’ont fourni aucun chiffre quant à la hausse globale des émissions polluantes. La Régie de l’énergie, dont la mission est d’évaluer les besoins énergétiques du Québec, n’a pas été consultée. Les promoteurs n’y ont probablement pas suffisamment de petits amis pour que le gouvernement se risque à demander son avis…
Et dire qu’on produit ici même dans nos campagnes des tonnes de purins liquides, source potentielle de méthane agricole qui pourrait être exploité à petite échelle pour combler une part de nos besoins en énergie. Et dire que nous avons, selon les évaluations les plus conservatrices, un des potentiels éoliens les plus élevés au monde. Et dire que le taux d’ensoleillement de nos hivers nous permettrait de disposer à l’infini d’une énergie propre. Et dire que nous disposons de tant de « négawatts », cette énergie qu’on économise par de simples petits gestes peu coûteux…
Mais qu’est-ce qui ne va pas chez nous ? Pourquoi sommes-nous toujours en train de reculer, en tentant de plaire aux grands industriels du gaz et du pétrole, en s’enfonçant toujours un peu plus dans notre dépendance envers les énergies fossiles alors qu’il nous serait si facile et moins coûteux de faire autrement ?
Laisser un commentaire