Souvenez-vous, le 23 juin dernier, les « retenus » du plus grand centre de rétention administrative de France, celui de Vincennes, ont mis le feu à leurs matelas suite à la mort d’un des leurs, un Tunisien (censément d’une crise cardiaque). L’incendie qui a suivi a rasé ce centre qui avait fait beaucoup parler de lui en février, lorsqu’on avait découvert que des policiers y avaient utilisé le Taser contre des prisonniers.
Il y a aujourd’hui en France métropolitaine 26 de ces centres de rétention administrative (CRA), dont 7 en région parisienne. Pourquoi « administrative » ? Parce qu’ils ne dépendent pas des services pénitenciers. C’est en fait le préfet du département qui ordonne le « placement » en CRA. À Paris, on parle du préfet de police. Y sont pourtant détenus jusqu’à 32 jours ces indésirables que sont les étrangers en attente d’expulsion du territoire français. Certains ont vécu en France plusieurs années, y ont travaillé, y ont eu des enfants sans en avoir « le droit », d’autres viennent d’y arriver et attendent une décision concernant une demande de statut de réfugié, d’autres, encore, ont vu leur visa expirer. Créés en 1981, les CRA prolifèrent depuis quelques années. Ils constituent une zone de non-droit où l’on maintient enfermés dans des cellules aussi bien les enfants que les vieillards.
Les CRA cachent ainsi (bien mal) la réalité sous l’euphémisme de leur appellation : ce sont en fait des établissements carcéraux qui sont le théâtre de violences verbales, psychologiques et physiques quotidiennes. Les enfants qui s’y trouvent voient leurs parents vivrent en milieu carcéral, avec tout ce que cela comporte, et se retrouvent eux aussi en prison. Puisque ceux et celles qui se trouvent dans ces centres vivent dans la peur d’être expulsés, les autorités ont beau jeu. Mis à part les visites, autorisées au compte-gouttes, il faut être parlementaire ou membre de la Cimade (1) pour en franchir les murs.
Plus largement, les conditions de vie dans ces centres sont déplorables. Souvent exigus, ils sont surpeuplés. Entassés de 2 à 4 dans une petite cellule, les prisonniers ne bénéficient pas d’espace de vie commune et se retrouvent donc à rester dans leur chambre ou a errer dans les couloirs du centre. Les repas sont composés en grande partie d’aliments périmés ou peu frais et les rations sont insuffisantes.
Il y a également un manque criant d’interprètes pour aider les étrangers à remplir la paperasse qui pourra peut-être leur épargner l’expulsion. Sans parler du peu d’aide psychologique. Seule la Cimade est autorisée à soutenir les prisonniers, souvent en état de grande détresse psychologique. Les cas de suicide, d’automutilation et de grève de la faim ne sont pas rares.
La façon dont les étrangers sont amenés dans les centres s’avère, elle aussi, souvent inhumaine : enfants de 7 ou 8 ans qu’on sort de l’école entre deux policiers ; autobus qu’on arrête pour en contrôler tous les passagers et en faire sortir les « indésirables » ; arrestation à la préfecture, alors que l’étranger vient présenter une demande de titre de séjour, ou bien au commissariat, où on l’a convoqué sous de faux motifs ( ex. excès de vitesse sur la route).
Sans compter les interpellations sensationnalistes au lever du jour devant les autres membres de la famille, alors que l’administration connaît depuis longtemps l’adresse des étrangers et pourrait procéder de façon moins traumatisante.
Des chiffres inquiétants
De 790 places en CRA en 2003, on est passé à 1800 en 2008. Pas moins de 35 000 personnes y ont fait un séjour en 2007. Lorsqu’un étranger y entre, il a une chance sur deux de se faire expulser de France. Les enfants y sont de plus en plus nombreux. Selon la Cimade, alors qu’ils étaient 50 par an avant 2003, ils sont passés à 200 à partir de 2003 et, en novembre 2007, ils étaient déjà 243 à y être passés depuis le début de l’année. À noter que 80% des enfants qui sont dans les centres ont moins de 10 ans… Mais pour l’administration, la présence croissante de ces jeunes enfants peut être considérée comme un progrès puisqu’ils ne sont plus séparés des parents, comme c’était le cas auparavant. On arrive ainsi à une situation kafkaïenne où des parents en attente d’expulsion se retrouvent en centres de rétention avec des enfants qui eux, selon la loi, ne sont pas « expulsables ». D’ailleurs, les mineurs ne sont pas comptabilisés dans la triste arithmétique de ces camps modernes. Ils se retrouvent donc dans un « no man’s land » administratif inacceptable.
À tout cela s’ajoute le fait que depuis la loi Sarkozy de novembre 2003, les salles d’audience peuvent être délocalisées et placées près des aéroports, des ports ou à proximité immédiate des CRA. C’est la justice à domicile… Les étrangers se retrouvent ainsi isolés, les audiences non annoncées et l’accès aux salles rendu difficile par la présence policière. Qui plus est, de la proximité des salles d’audience par rapport aux CRA, on est passé aux salles à l’intérieur même de certains centres. Dès lors, l’étranger peut entrer au CRA pour n’en ressortir que le jour de son expulsion du territoire français. Une aberration qui a choqué suffisamment (associations, syndicats des avocats, etc.) pour que la Cour de cassation statue, en avril dernier, que les salles d’audience situées dans l’enceinte des CRA seraient désormais illégales.
Avec son fichier Edwige qui va créer le fichage de tout délinquant dès l’âge de 13 ans et les CRA qui font des petits, la France file un bien mauvais coton. Dans un pays ayant vécu l’occupation nazie, le fichage tous azimuts pour délit de faciès devrait pourtant rappeler de bien mauvais souvenirs et les centres, de bien sinistres camps. Quelquefois, le présent se superpose d’ailleurs au passé, comme à Rivesaltes, dans les Pyrénées orientales, où un CRA avait été bâti en 1984 carrément sur le camp Joffre (2), tristement célèbre pour avoir « accueilli » de 1939 à 1942 des Républicains espagnols, des Tsiganes et des juifs, puis des harkis (3), de 1962 à 1964. La honte.
ISABELLE BAEZ
Je vous conseille le vidéo suivant, très instructif : http://www.dailymotion.com/video/x3f5tx_32-jours-en-centre-de-retention_politics
(1) Association eucuménique qui défend les droits des étrangers. Présente dans plusieurs régions de France (voir : http://www.cimade.org/) (2) Il a été déplacé l’année dernière dans un endroit pratique : près de l’aéroport de Perpignan. (3) C’est ainsi qu’on appelle communément les Algériens embauchés par l’armée française de 1957 à 1962 pendant la guerre d’Algérie. Le terme a fini par être associé à tout Algérien musulman qui était pour une Algérie française.
Laisser un commentaire