« Le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti. »
Cette phrase d’Albert Camus ouvre « La fin du néandertal. Un projet pour Montréal. », le long métrage que je viens de terminer sur la (trop grande) place de l’auto en ville. Trois ans et demi passés à suivre au jour le jour les démarches d’un groupe de citoyens et d’un jeune parti politique municipal qui travaillent d’arrache pied pour que nos rues cessent d’être des « tuyaux à faire passer des chars » et redeviennent simplement des milieux de vie.
Trois ans et demi pour me rendre compte avec eux que les nombreux problèmes de santé et de sécurité liés à l’auto ont des solutions déjà éprouvées dans plein de villes dans le monde. Et trois ans et demi pour constater que si rien ne se passe ou presque à Montréal, c’est que le blocage est politique. En clair : l’administration Tremblay (ou l’opposition officielle, c’est du pareil au même) va continuer de laisser entrer 10 000 chars de plus par année sur l’île de Montréal parce qu’elle n’a aucune réelle volonté de réduire la place de l’auto en ville.
La phrase de Camus au début de mon film, c’était donc déjà ma réponse à ceux qui allaient m’accuser (et il en fut) d’avoir fait un film partisan. La critique est venue comme prévue de mes amis anars pour qui toute élection est nécessairement un piège à con. Mais elle est aussi venue de plusieurs de ces bobo bien pensants équitables de gauche (mais pas trop) qui sont capables de distinguer un parti d’idées et de militants comme Projet Montréal des vieux partis sclérosés avec leur « machine à faire sortir le vote », mais qui les snobent parce que « la population n’est pas rendue là », qu’il faut être réaliste, et gnagnagna…
Aux yeux des premiers, je serais un traître qui se compromet dans la logique autoritaire des partis, et pour les seconds un naïf sympathique avec sa gang de marginaux auxquels il faudra bien un jour finir par expliquer ce qu’est la vraie vie.
Et si j’étais juste, comme bien d’autres d’ailleurs, quelqu’un qui s’informe, regarde ce qui se passe et essaie d’utiliser sa raison pour orienter son action ? Et si mon petit pastiche d’étude scientifique comparant l’efficacité et les limites de l’action citoyenne versus celles d’un jeune parti politique permettait réellement de comprendre un peu mieux les rouages du monde municipal ? Et si la conclusion qui s’impose dans le film s’avérait fondée ? Et cette conclusion, que m’apprête à répéter ici impunément, c’est que ce sont les citoyens et Projet Montréal qui ont montré une réelle détermination à faire reculer l’auto à Montréal, et pas les élus de l’administration en place.
Mais malheureusement, les vieux de la vieille de la politique politiciennes sont toujours très prompts à récupérer les meilleures initiatives citoyennes à leur compte. On n’a qu’à penser à la démarche de démocratie participative poussée à bout de bras par des citoyens pendant des années, et avec laquelle la maîresse Fotopulos s’est pêtée les bretelles une bonne partie de son mandat. Ou encore ce cher Michel « vélo » Labrecque, qui est tellement fier de montrer qu’il possède parfaitement la rhétorique sur la réduction du trafic, mais qui accouche d’une souris sur cette question dans son fameux plan de déplacement urbain du Plateau.
Un plan qui avait tellement de retard sur l’échéancier prévu que des citoyens en sont venus à rédiger leur propre PDU Citoyen pour montrer au pouvoir en place qu’on les connaît depuis longtemps les solutions à mettre en place pour apaiser la circulation. Et quand le fameux PDU du Plateau sort finalement, l’année électorale cela va de soi, c’est avec des échéanciers surréalistes de 10 ou 15 ans ! Et cela ne semble en rien mettre mal à l’aise notre bon monsieur Labrecque qui se présente d’ailleurs comme maire du Plateau à la place de Fotopulos (rétrogradée à simple conseillère de ville dans Côte-des-Neiges) dans un geste désespéré du parti du maire Tremblay de bloquer Projet Montréal qui risque de faire une razzia sur le Plateau.
Je serais évidemment tenté de vous dire que si vous voulez d’autres arguments, vous n’avez qu’à consulter les dates de projection de La fin du néandertal au http://neandertal.wordpress.com/ , mais je ne le ferai pas, de peur d’être taxé par un éditorialeux de service de réincarnation de Leni Riefenstahl. Ou pire peut-être, d’inciter à l’action !
Car un film qui rappelle simplement le fait que 5 piétons se font frapper quotidiennement par des autos sur l’île de Montréal porte une atteinte potentielle grave à la fluidité du trafic. Et la fluidité, c’est sacré ! Passe encore de mettre un 40 km/h maximum sur les pancartes au lieu de 50 (ce qui ne changera strictement rien à la vitesse des autos), mais ouvrir la porte à tous ces objets qui avancent sur la rue et rappellent à l’automobiliste qu’il côtoie du monde à pied dans une ville, ça non !
On essaie d’en rire, mais c’est loin d’être drôle. Car si les choses évoluent avec une lenteur désespérante à Montréal, c’est que les conseils d’arrondissement menés par les deux vieux partis sont devenus des filtres kafkaïens où le citoyen se perd. C’est donc normal que les plus enragés se tannent et fassent le saut en politique.
Et je ne suis pas en train de faire ici un plaidoyer en faveur de la démocratie représentative ou une ode à Projet Montréal : soyez certain que dans les deux cas j’en connais les limites et les contradictions ! Mais ma réflexion essaie de voir quels sont les gestes les plus efficaces qu’on peut poser pour l’améliorer.
Et l’un de ces gestes concret à poser à court terme, c’est de voter pour Projet Montréal le 1er novembre prochain. Aller voter non pas comme on va à l’église faire une profession de foi, mais voter simplement comme on achète l’Itinéraire*. Parce que c’est une façon concrète d’aider la personne itinérante à court terme (avec le 1$ qu’elle touche) et aussi à long terme (à sa réinsertion sociale).
Le 1er novembre, prenez donc 10 minutes pour aider votre ville moribonde à se payer une nouvelle administration à court terme et par le fait même aider-la à long terme à réinsérer du lien social dans nos rues.
Vous pouvez même voir ça comme une « action directe ». Petite, j’en conviens. Mais le lendemain, et le surlendemain, qu’est-ce qui vous empêche de continuer à mettre de la pression ? À élargir le plancher de la cage, comme disait Chomsky ? Et ça, ça peut se faire au conseil de ville ou dans divers regroupements citoyens (droit au logement, etc.). Mais ça peut aussi se faire avec un pot de peinture, du bois, des pancartes et un peu d’imagination.
BRUNO DUBUC
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