La veille de Noël, j’annonçais à mon petit gars de 2 ans et demi : – Papa s’en va en avion ! Je vais traverser l’Atlantique et le désert, – Mais tu vas où et faire quoi ? Ben, OK papa va te dire la vérité, il s’en va en Palestine marcher pour la libération ! – Ah oui ! C’est quoi la LI-BÉ-RATION ? [ la Palestine il connaissait déjà un peu ça parce que j’étais allé en Cisjordanie au printemps dernier, mais la libération c’était un concept relativement nouveau] – On s’en reparlera quand tu seras plus grand OK !
Mais pendant les fêtes n’hésite pas à dire à la famille où papa s’en va OK ! – Oui, oui, papa s’en va en PA-LES-TINE marcher pour la libération ! – Give-me five ! Yes sure ! – Et ne te préoccupe pas de ce que les autres vont dire, papa il sera en sécurité là-bas, OK ! Par cette petite manigance, je voulais, dans mes rêves les plus fous, qu’en s’inquiétant tout à coup pour moi, mes proches jettent un coup d’oeil dans les médias, prennent conscience de ce qui se passe dans ce coin de pays, qu’ils se rendent compte qu’il y a encore un blocus à Gaza, qu’on impose une punition collective à un peuple sous prétexte qu’on lutte contre le terrorisme, qu’ils se rappellent que l’année dernière, à la même date, Israël bombardait Gaza, qu’au terme de l’opération Plomb durci, plus de 1400 personnes perdaient la vie et que notre propre gouvernement restait muet devant ce massacre. Puis, paraphrasant ma collègue de voyage Catherine Simard dans une de ses BDs, après avoir digéré tout ce contenu indigeste, qu’ils s’indignent de la situation, qu’ils canalisent leur colère et deviennent des citoyens pro-actifs ; participent à des manifs, appuient la campagne de boycott des produits israéliens, envoient des lettres à Harper, sollicitent leurs députés, demande à leurs syndicats de se positionner sur le conflit israélo-palestinien, parlent de la situation à leurs amis, écrivent des lettres ouvertes dans les journaux… Après tout, c’était un peu ça l’objectif de la Marche pour la libération de Gaza à laquelle j’allais me joindre : rappeler qu’il y a encore un blocus à Gaza, s’unir ensemble pour imposer la levée du siège !
La Marche pour la libération de Gaza, une utopie ?
À la réunion pré-départ on m’avait bien dit qu’il y avait tout de même une possibilité qu’on ne rentre pas à Gaza, que les 1300 internationaux en provenance de plus de 40 pays soient bloqués à Rafah, à la frontière entre l’Égypte et la Bande de Gaza, que par le fait même nous ne participerions pas à cette méga-marche de solidarité. Pourtant, cette possibilité je l’avais écartée, j’avais plutôt en tête cette image grandiose de 50 000 personnes marchant ensemble pacifiquement pour imposer la levée du blocus, et par la force du nombre franchir le poste frontalier d’Erez en Israël tout en scandant : LEVEZ LE SIÈGE DE GAZA ! Le tout retransmit en direct sur les chaînes télé de la planète ! Un beau rêve n’est-ce pas ?
« La réalité nous est tombée dessus, comme une tonne de pierres taillées de la pyramide de Kheops. »
Le 27 décembre, à notre arrivée au Caire, il a fallu rapidement dégriser ! Je dis, « à notre arrivée » parce que je faisais partie de la délégation québécoise, nous étions huit, dont deux représentants du syndicat des postes (STTP), premier syndicat canadien à avoir appuyé officiellement la campagne de boycott des produits israéliens. En effet, à l’hôtel Lotus, à la réunion d’organisation du matin, on nous apprenait que les autorités égyptiennes mettraient tout en oeuvre pour nous séquestrer à l’intérieur du Caire et limiter notre liberté d’action. D’abord, en fermant officiellement la frontière pour entrer à Gaza, ensuite en interdisant les compagnies de bus de transporter des étrangers en direction de Rafah, et enfin en installant des barrages policiers à toutes les entrées du canal de Suez, passage obligé pour se rendre jusqu’à Gaza.
Puis en soirée, dès notre 1re action de solidarité, nous avons pu goûter à la répression sauce égyptienne spécial touristes : une police tout sourire mais surveillant nos moindres faits et gestes ! Ainsi à la réunion du matin, à laquelle participait toute la délégation de la Marche, nous nous étions entendus pour faire une 1ère action commémorative au Caire. Nous devions mettre 1400 bougies sur des bateaux miniatures et les faire voguer sur le Nil au soleil couchant afin de rappeler les 1400 victimes du bombardement sur Gaza. Mais cette commémoration n’aura jamais eu lieu, les autorités égyptiennes ayant préféré nous encercler sur le trottoir, pendant quelques heures, le long de la Corniche du Nil, un boulevard très achalandé, avec un trafic continuel ! Et c’est ce 1er encerclement qui donnera le ton aux autres, très vite on s’est mis à crier des slogans, à interpeller les gens dans la rue. Les délégués italiens se sont mis à chantonner leur hymne « « Bella ciao, Bella ciao, ciao », les Américains paraphrasaient une chanson des Beatlles, d’autres criaient en arabe des slogans de solidarité, tandis que moi, caméra à la main, je recueillais les commentaires personnels d’un journaliste d’ALJazeera que j’avais pris pour un policier, et qui m’avouait soutenir notre cause ! Bref, un gentil petit chaos de manif altermondialiste naissait et qui allait perdurer pendant dix jours.
Finalement, dans un certain sens, la stratégie égyptienne a fonctionné, car la majorité d’entre nous n’avons, effectivement, pas pu mettre les pieds dans la Bande de Gaza, (seulement un petit groupe de 84 personnes y a été autorisé). Mais dans un autre sens, nous n’avons pas abdiqué ! Nous avons organisé près d’une manifestation par jour durant 10 jours d’affilée ! Nous faisions quotidiennement la une des journaux en Égypte ! Et il y a eu aussi le très médiatisé (en France) sit-in de la délégation française. Durant 5 jours, 200 Français, entourés de 500 policiers, ont carrément campé sur le trottoir devant l’ambassade française au Caire afin de demander des bus pour Gaza et la levée du siège ! Je reviens au Québec gonflé à bloc pour dénoncer la situation et m’impliquer à ma mesure pour changer les choses.
À l’aéroport, mon petit gars se moquait de la L-I-B-É-R-A-T-I-O-N, il voulait son papa. Portant fièrement mon foulard palestinien sur les épaules, je le pris dans mes bras ému de le retrouver après 10 jours d’absence et prêt à tout pour continuer la lutte !
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