Bruit de bottes, de souliers et de pantoufles – Francis Dupuis-Déri – Membre de Bloquez l’Empire – Montréal (texte écrit à titre personnel) Voilà plus de cinq ans que l’Irak saigne sous la botte des États-Unis. En décembre 2008, le journaliste irakien Muntadar Al-Zeidi a lancé ses souliers vers George W. Bush, lors d’une conférence de presse à Bagdad, en Irak. Al-Zeidi a crié : « C’est un baiser d’adieu du peuple irakien, chien ! De la part des veuves, des orphelins et de tous ceux qui sont morts en Irak ! ». Les policiers l’ont plaqué au sol et jeté en prison. Selon le juge chargé de l’affaire, il y a été torturé.
Le 20 décembre 2008, le collectif antimilitariste Bloquez l’Empire – Montréal (BLEM) a organisé une action en solidarité avec Al-Zeidi. Il s’agissait de lancer des souliers sur un portrait de George W. Bush devant le consulat des États-Unis (et sur un portrait de Stephen Harper, devant un centre de recrutement de l’armée canadienne). L’action a reçu une certaine couverture dans les médias, surtout qu’Amir Khadir y participait, quelques jours à peine après son assermentation comme député. Amir Khadir est un habitué des manifestations de l’extrême gauche qui dénoncent le néolibéralisme, le capitalisme, la guerre et la brutalité policière. Ce 20 décembre, il a lancé une chaussure sur le portrait de Bush, en criant qu’il posait ce geste en tant que député de Québec solidaire et membre de l’Assemblée nationale. Les journalistes ont adoré. Soit.
Dans les jours qui ont suivi, plusieurs lettres paraissant dans les journaux exprimaient une vive indignation face à ce geste « violent ». Un enseignant, Gilbert Gagnon, a même porté plainte au président de l’Assemblée nationale, arguant qu’un député ne doit pas encourager la violence, et que le geste d’Amir Khadir n’est pas plus légitime que celui d’un élève lançant un soulier à son professeur. Dans Le Devoir, un citoyen responsable prétendait que le geste « contient en soi un germe de violence. Si je lance mon soulier à la tête de ma conjointe, est-ce que je deviens un héros ? » Mais à quoi bon comparer un président en guerre avec un enseignant ou une conjointe, à moins que cette conjointe ou cet enseignant ne porte la responsabilité d’une guerre qui a provoqué plus de cent mille morts ? En 2008, le procureur Vincent Bugliosi a signé un livre intitulé The Prosecution of George W. Bush for Murder (L’accusation de George W. Bush pour meurtre), dans lequel il avance que George W. Bush devrait êt re condamné pour la mort des milliers d’Irakiennes, d’Irakiens et de soldats des États-Unis, victimes directes de ses décisions présidentielles. Or le système de justice n’appellera jamais George W. Bush à comparaître pour répondre de ses crimes contre l’humanité, commis en toute impunité. Alors, un soulier lancé à son portrait, pourquoi pas, surtout si le geste évoque clairement une solidarité avec Al-Zeidi.
L’« opinion publique » n’est pas si bête qu’elle ne sache décoder une action politique aussi simple… Et il n’y a pas si longtemps, les spectateurs assistant aux matchs théâtraux de la Ligue nationale d’improvisation (LNI) lançaient parfois des claques quand le jeu était décevant, sans qu’il y ait là un encouragement à lapider les acteurs, ou les enseignants …
Au final, même Amir Khadir de Québec solidaire va miner la signification de l’action de BLEM et rompre la solidarité avec Al-Zeidi, en se dissociant de son geste. Appelé sur place par des journalistes qui couvraient l’action à préciser s’il aurait lancé une godasse au vrai George Bush, Amir Khadir a curieusement réagi. Il s’est tout de suite repositionné devant le portrait de Bush pour lancer un deuxième soulier, criant cette fois qu’il ne s’agissait que d’un geste symbolique. En entrevue avec la Presse canadienne, quelques jours plus tard, Amir Khadir a bien dit que Bush symbolisait à ses yeux « le mensonge, la manipulation, la guerre et la destruction », mais que « si M. Bush luimême avait été là en personne, [il] ne lui aurais jamais lancé un soulier à la figure. » À l’occasion de son assermentation comme député, Amir Khadir avait déclaré n’être « ni gauche caviar, ni gauche radicale. » Serait-il de la gauche en pantoufles ? Quant à Al-Zeidi, il s’est fait arranger le portrait à coups de botte
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