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SLAPP – K.O. en cinq ?

Paf ! Normand décoche un puissant crochet. Normand, ce n’est pas le tenancier de la mythique brasserie Chez Normand, avenue Mont-Royal. C’est Normand Landry, professeur en communication, celui que le plus pugnace des environnementalistes du Québec, André Bélisle, appelle « une personne hors du commun ». Mais pourquoi nous sonner, Normand ? La réponse en est toute simple. Normand Landry est un dur à cuire et il en a contre ceux qui se croient au-dessus de la loi. C’est pourquoi il vient de publier SLAPP, un bouquin de 200 pages bien denses, aux Éditions Écosociété. On savait la petite maison d’édition de la rue Parthenais combative. On la sait désormais tenace. Avec SLAPP, bâillonnement et répression juridique du discours politique (http://www.ecosociete.org/t154.php), elle enfonce le clou dans un billot de bois bien pourri, celui de notre système judiciaire. Pour la petite histoire, les SLAPP sont des poursuites abusives lancées par des éléphants de Bay Street contre des souris de quartier. Aux milliers de mises en demeure, succèdent parfois des poursuites d’une rare violence. On leur balance du raticide, à ces souris. Cela les tue ou leur coupe le sifflet, c’est selon.

Normand Landry boucle ici la boucle d’une saga politique débutée en 2008 et connue comme L’affaire Noir Canada. Rappelez-vous, une poursuite de 6 millions de dollars de la minière Barrick Gold à l’encontre de ladite maison d’édition et les auteurs du livre Noir Canada – pillage, corruption et criminalité en Afrique, doublée d’une poursuite de 5 millions $ (une aubaine !) en provenance de la minière BANRO. Si la première s’est règlée hors-cour en 2011, la seconde a toujours cours. Cette affaire ne serait pas saga, et Landry nous le rappelle avec justesse, n’eut été la « mobilisation sociale et le lobbying politique ayant conduit à l’adoption d’une législation anti-SLAPP québécoise » en juin 2009.

Cette saga politique, abusivement contrainte dans une camisole de force juridique, est l’illustration flamboyante d’un pattern que l’on retrouve dans bon nombre d’intimidations judiciaires ces dernières années. Dans le coin gauche, on retrouve généralement des environnementalistes, chercheurs et journalistes indépendants, auteurs et citoyens aux opinions affinées. Dans le coin droit, des PDG d’entreprises aurifères ou d’hydrocarbures, des avocats sans scrupule et des bandits de pacotille gérant des compagnies à numéros. Le citoyen lance quelques jabs, l’avocat riposte de suite en lui enfilant une clé de tête et l’immobilisant au sol.

Le match de boxe entre poids lourds et poids plumes, auquel assistent passivement les citoyens du Québec et du Canada depuis des années, n’est rien de moins qu’une contraction du débat politique. Les cours de justice sont ici le ring, les arbitres les gardiens de la rectitude politique et les règlements pour pugilistes la procédure judiciaire qui étouffe la vie démocratique. Tel un corset géant, ce guetappens judiciaire guette de plus en plus de voix critiques sur le modèle du « vous me critiquez ? Je vous SLAPPe ! ».

Normand Landry avait déjà décrit le phénomène en 2009, alors qu’il mettait en ligne La parole citoyenne SLAPPée (http://parolecitoyenne.org/sites/citoyen.onf.ca/files/slapp_19.pdf), un guide de survie 101 destiné aux moutons noirs de la société. Consultez ce guide dans le dossier multimédia intitulé Le réflexe juridique (http://parolecitoyenne.org/node/23194).

Avec SLAPP, bâillonnement et répression juridique du discours politique, lancé dans la mare fin mars 2012, Landry récidive cette fois avec des gants de boxe de pro et tout semble indiquer qu’il se rendra au 12ème round. J’ai pour ma part fait aller mon jeu de jambes avec passion cinq chapitres durant et je suis toujours debout. Sonné par la rigueur des coups de Landry, déboussolé par ses crochets incisifs qui dénotent une recherche en profondeur et ébranlé par les exemples qu’il cite, les explications qu’il enchaîne et les descriptions qu’il nous balance. Je suis essoufflé, mais ô combien debout. Debout plus que jamais.

Lecture obligatoire pour tous les étudiants en droit, avocats et autres légalistes, mais surtout pour toi, boxeur-citoyen. Car au-delà d’un portrait tout en finesse, Landry nous invite à comprendre la SLAPP comme le symptôme d’une époque. Un temps « marqué par l’usage croissant des tribunaux lors de conflits sociaux et politiques et l’exacerbation de profondes inégalités en matière de justice ». Poids plumes que nous sommes, acceptons cette belle invitation à sortir du ring et à rejoindre la rue. Merci Normand.

FRÉDÉRIC DUBOIS

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