Au moment où vous lisez ces lignes, une aïeule Anishinabe de 66 ans devrait arriver dans la région de Québec, sa petite chaudière de cuivre à la main, en route pour Gaspé et l’océan. Partie de Thunder Bay il y a six ans, Nin Beedawsige « Joséphine » Mandamin a patiemment fait d’année en année le tour de chacun des Grands Lacs à pied avant d’entamer, avec quelques proches, la descente du grand fleuve en 2009. Le projet de leur « Mother Earth Water Walk » : conscientiser les gens à la dégradation d’un cours d’eau de plus en plus pollué par les Blancs, asséché par la crise climatique et bouleversé par les travaux de dragage qui en ont fait « l’autoroute St-Laurent »*.
Étonnant tout de même que c’est de quelques aînées autochtones que vienne un geste aussi simple et senti que de marcher patiemment le long des Grands Lacs et du fleuve (17 000 km déjà !) en parlant aux gens de l’importance de l’eau. Josephine Mandamin : « Je crois vraiment – et cela me gêne un peu de le dire – que c’est toujours apparemment aux Autochtones que revient la tâche de dévoiler ces problèmes… de réveiller le monde. »
La marcheuse s’adresse aussi à l’eau, avec de brèves cérémonies tenues à la traversée de chaque affluent. Elle a été filmée par le cinéaste Kevin McMahon pour Waterlife, un film qui risque de faire des vagues cet été au festival Hot Docs des meilleurs documentaires canadiens. Il écrit : « Elle a grandi sur l’île Manitoulin, écrit McMahon, mangeant du poisson frais tous les jours et buvant directement l’eau de la Baie Georgienne. Depuis sa naissance, elle a vu les Grands Lacs quasi-ruinés – avec les poissons tués par des espèces invasives et les ports empoisonnés, et aujourd’hui, leurs eaux qui s’évaporent dans les nuages du réchauffement climatique. »
Par Martin Dufresne, pour Le COUAC
* L’expression est tirée d’un solide dossier de la revue À Bâbord, « Le St-Laurent en eaux troubles », que Sophie Vaillancourt, Édith Lacroix et Daniel Green nous ont présenté dans un bar montréalais quelques jours avant Pâques. Entrevue de Frederic Bach, analyses de chimistes, illustrations parlantes et comptes rendus des situations de crise locales, du barrage hydroélectrique de Cornwall aux « bombes flottantes du Projket Rabaska ». En kiosque actuellement et à lire absolument ! (THUMBNAIL DE LA PAGE COUVERTURE)
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Vendredi 10 avril 2009. « Ne crains jamais l’inconnu. » Ces mots me reviennent sans cesse en tête aujourd’hui alors que je refais mes bagages en espérant ne rien oublier. L’appréhension et l’étonnement m’envahissent de temps à autre, tant le voyage est immense, monumental, pour moi qui n’ai jamais vu le Saint-Laurent autrement qu’en images. Je sais cependant qu’il a un sens profond pour les ancêtres et les riverains actuels. C’est avec un respect immense que je compte sur leurs prières et leur soutien. Mon père disait toujours : « Qui a toujours peur de partir ne va jamais nulle part », et ces paroles m’accompagnent dans mon itinéraire et ma vie. » (Journal de route de Madame Mandamin)
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