Les événements qui ont suivi l’assassinat de Fredy Villanueva à Montréal-Nord le 9 août 2008 n’avaient rien d’inattendu pour quiconque connaît les conditions socio-économiques dans lesquelles est confinée la population du district nord-est de cet arrondissement.
Les chiffres sont éloquents, particulièrement lorsqu’ils sont comparés au reste de l’île. À Montréal-Nord, le revenu moyen par famille est de 20 000 $ inférieur à la moyenne montréalaise. En outre, 40% de la population vit sous le seuil de la pauvreté (50% plus élevé que Mtl), près d’une famille sur trois est monoparentale (comparativement à 1 sur 5 à Mtl), et on compte beaucoup plus d’adolescentes avec des enfants (45/1000 contre 28/1000). On peut aisément déduire que ces indicateurs de précarité sont plus élevés encore dans le district nord-est de l’arrondissement, un immense quadrillé de blocs appartements qui ne manque pas de rappeler Bratislavia.
Une grande part de la population nord-montréalaise est captive, c’est-à-dire qu’elle n’a plus les moyens d’échapper à la spirale de l’endettement, des loyers élevés, de la stigmatisation sociale et d’un phénomène de sauve-qui-peut qui pousse les moins malchanceux à lever les voiles dès que l’opportunité se présente. Dans bien des cas, restent ceux qui n’ont pas les moyens de partir.
Malgré tout, la nature a horreur du vide et la zone « rouge », oubliée sinon caricaturée par la société québécoise, a développé sa propre culture sous l’impulsion notamment d’une nouvelle génération métissée qui n’adhère ni aux critères d’une tradition canadienne-française ni à celle d’une culture d’origine en ce qui concerne les familles immigrées (Haïti, Liban, Honduras…). Pour elle, l’hybridité de la culture hip-hop, par exemple, renferme bien davantage un bagage de référents qui correspond au quotidien.
Mais la fertilité de l’underground s’étend bien plus loin que la culture. Désormais, Montréal-Nord a aussi son économie informelle, ses propres lois non écrites, ses relations de pouvoir alternatives, et même une nouvelle fraternité populaire.
C’est cette fraternité, répondant à celle des policiers, qui s’est soulevée le 10 août.
Lorsque Jean-Loup Lapointe a enfilé ses gants noirs et est descendu de la voiture de patrouille pour régler le compte de Fredy, les témoins directs de l’intervention, ses amis proches et des membres de sa famille, ont immédiatement rapporté leur version des faits à la communauté. Le bouche à oreille a fait son œuvre et a vaincu localement la version policière colportée par les grands médias se commentant même à des affirmations du type « … entouré par une vingtaine de personnes hostiles, un policier n’a eu d’autre choix que de dégainer son arme et faire feu ». Imperméable à la science-fiction officielle, les résidents du district nord-est ont explosé de colère et cette rage était telle que la bavure ne saurait dès lors demeurer impunie.
L’exclusion qui génère une société parallèle à Montréal-Nord, c’est aussi un système de politique clientéliste héritier de l’ère Ryan, ancien maire de la ville (avant la fusion de 2002). Depuis, la mainmise sur l’arrondissement est plus subtile ; on affame les groupes communautaires devenus serviles et apolitique. Les héritiers de Ryan se sont aussi appliqués à la gestion scrupuleuse de leur image de bienfaiteurs dans les médias. Ainsi, après les émeutes, une firme de communication est engagée pour contrôler les dommages politiques que les émeutes pourraient infliger à l’arrondissement .
« Solidarité Montréal-Nord », selon le communiqué de presse émis le 15 août, regroupe « les organismes communautaires et les principales institutions, dont l’arrondissement de Montréal-Nord, le Service de police de la Ville de Montréal (PDQ 39) et le CSSS ». Bref, une nouvelle étiquette pour la même petite clique qui constitue le pouvoir effectif de l’arrondissement et qui verrouille l’accès au système officiel de répartition du pouvoir. À Montréal-Nord, concertation rime avec cooptation.
Cet exercice de relations publiques qui visait à limiter les dégâts dont la clique locale porte la responsabilité aurait sans doute réussit n’eût été de l’intervention de Montréal-Nord Républik venu mettre en lumière à la fois les tentatives de subterfuges et exiger une véritable justice suite à la bavure du 9 août. Depuis, il semble que petit à petit, l’immuable édifice de l’establishment, basé sur l’acoquinement et l’anesthésie populaire se fissure progressivement.
La cinquième revendication de Montréal-Nord Républik demande la « reconnaissance du principe que tant il y aura des insécurité économique, il y aura insécurité sociale ». C’est dire que la bataille afin que justice soit faite pour Fredy Villanueva a aussi lancé une guerre à finir contre les matraqueurs de la démocratie, ceux qui portent l’uniforme ou les autres, en cravate
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