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Les masques tombent

Bien que l’enjeu minier soit au centre du débat public québécois depuis plusieurs années maintenant, rien n’y fait. Les critiques s’abattent sur la gestion, d’inspiration coloniale, des ressources naturelles, mais l’État Charest continue de mener une politique à la faveur des entreprises minières mondiales, au mépris de sa population. Depuis mai 2011, les prétendues initiatives de consultations ou, plus naïvement, de « conversations » nationales sur les mines, ont surtout les allures d’entreprises de promotion du programme d’exploitation des ressources du nord québécois.

Début mars, l’Institut du Nouveau Monde (INM) a organisé une « conversation publique au sujet de l’avenir minier du Québec », dans le cadre d’une tournée d’emblée controversée. Cette mascarade de consultation publique se trouve financée par nul autre que… le lobby le plus puissant et intéressé qui soit, celui des minières et de leur fer de lance en marketing, Minalliance ! Nous sommes à l’origine d’une déclaration sur cette alliance de mauvais aloi (http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/344061/minalliance-et-l-institut-du-nouveau-monde-une-collaboration-de-mauvais-aloi) entre certains acteurs disant représenter « la société civile » et les tenants de « la bonne gouvernance ». On nous inculque ces notions à grand renfort de subventions ces dernières années afin d’amener la population à avaliser des projets industriels et des politiques qu’elle ne détermine jamais. La formule : inviter des groupes prétendument représentatifs de la société civile (des ONG, des universitaires, des membres des communautés locales…) à reconnaître leur intérêt dans des projets privés qui, de fait, les dépassent tout à fait. Fort heureusement, cette entreprise de cooptation a été reconnue et dénoncée par des organisations civiques qui avaient au préalable adhéré au projet de l’INM ; elles ont retiré leur soutien et mis fin à leur participation (http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/344266/conversation-publique-sur-l-avenir-minier-l-inm-fonce-malgre-la-tempete) à ces consultations bidon. Le déficit de légitimité de ces consultations ressort clairement.

Pour toute réponse, l’organisation a annoncé péremptoirement que « la qualité et l’éthique sont du côté de l’INM », elle qui agit ici comme soustraitante de l’industrie. Experte dans l’animation du débat public, on la sait capable d’infantiliser toute une population et de donner une tonalité Passe-Partout à un débat qui se tient actuellement sur fond de colère publique ; derrière chaque évocation de son animateur Michel Venne résonne la voix de Marie Eykel.

La qualité

Revenons alors sur les prétentions de l’INM. « La qualité », d’abord. Comment justifier que le thème des territoires autochtones ne soit pas mis de l’avant dans le cadre de la tournée sur le Plan Nord ? Cette tournée ne s’arrête d’ailleurs pas dans les communautés innue, crie ou inuite. Rappelons que l’enjeu minier touche et touchera surtout les populations du territoire nordique, celles qui se trouvent au nord du 49e parallèle.

La « conversation » nationale de l’INM n’entend guère plus aborder le choix des ressources à exploiter, ou non. Le cuivre, l’or, le diamant et l’uranium sont autant de « ressources » auxquelles se rattachent des enjeux industriels, financiers, écologiques et politiques fort différents, et qui supposent, au cas par cas, des refus ou des modalités d’encadrement adaptées.

Le projet d’exploitation du Grand Nord n’est pas non plus pensé en concurrence de modèles de développement économique autres. Rien par exemple sur des projets globaux de recyclage des ressources déjà exploitées, rien sur l’agriculture, la foresterie… La « conversation », à l’instar des formes d’organisation inspirées de la « gouvernance », restreint le sujet politique à ses intérêts propres et le perçoit comme incapable de réflexions sur des enjeux d’emblée collectifs.

L’éthique

L’INM se pare également de vertus. « L’éthique » est aussi de son côté. Alors, comment interpréter :
- que la très grande majorité du financement de la tournée provienne du lobby minier ?
- que tous les bailleurs de fonds de la tournée soient en conflit d’intérêts ou donnent l’impression d’être en conflit d’intérêts par rapport à l’avenir minier ? C’est le cas de Bâtirente – le bas de laine de la CSN – et le Fonds de solidarité FTQ, tous deux actionnaires d’Osisko, la compagnie qui exploite la plus grande mine aurifère à ciel ouvert au Canada ?
- que tous les organismes sérieux de la société civile aient décidé de tourner le dos à cette tournée pour des raisons précisément… éthiques ? (http://m.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/ 344029/conversation-publiquesur-l-avenir-minier-la-qualite-et-lethique- de-la-demarche-sont-misesen-doute)

Au moment de mettre sous presse, l’INM termine sa tournée – qui soit dit en passant, n’a su attirer qu’un faible nombre de participants (50 à Rouyn- Noranda, 50 à Québec, 60 à Montréal, pour ne nommer que ces endroits) – et prépare un document censé faire la synthèse de « la parole citoyenne » qu’il aura lui-même fermement encadrée, contrôlée.

L’alternative existe

Bien que nos moyens de mobilisation soient dérisoires pour faire face à l’industrie minière, la réplique existe et se fait de mieux en mieux entendre. On assiste à la tenue d’un nombre impressionnant de colloques sérieux sur la question des ressources depuis un an. Ils témoignent d’un grand intérêt, même si ces manifestations strictement verbales restent le signe, pour l’instant, d’une impuissance politique face à un chantier qui s’organise si loin de nos chaumières.

Ces manifestations sont néanmoins incontestablement pertinentes. Un colloque intitulé Quels savoirs pour le Nord ? a eu lieu à l’UQAM le 29 mars dans le cadre de deu x autres événements liés au GRIP-UQAM et à Schola (l’école populaire de la grève étudiante). Au début de mai, la ville de Québec accueillera le Forum Plan Nord 2012, avec pour titre : Ne perdons pas le nord ! (http://www.forumplannord.com/). Dans les deux cas, les organisateurs se financent sans l’apport de l’industrie. On sait encore trouver des agoras laissant toute latitude aux intervenants ; il y a donc lieu de s’éloigner des stratégies de relations publiques de l’industrie. Les experts miniers et les citoyens qui se positionnent représentent la population, non l’industrie. Ces forums s’assurent que les voix des femmes et des autochtones – des groupes sociaux généralement absents du débat sur les mines, alors qu’ils sont les plus touchés – soient entendues, de même que celles des artistes, des documentaristes, etc.

Lorsqu’on parle de mines au Québec et au Canada, les masques tombent. À la lumière de la tournée INMMinalliance, nous avons pu voir très clairement l’alignement intéressé des di fférents acteurs. Les forums citoyens, quant à eux, se démarquent par leur recherche d’une articulation sensible entre les revendications des populations et un débat politique à l’abri des supercheries de la « bonne gouvernance ». Ensuite, le Printemps québécois qui s’annonce fera la démonstration de tangibles rapports de force possibles.

ALAIN DENEAULT, FRÉDÉRIC DUBOIS, DAVID WIDGINGTON

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