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Les banques canadiennes : renforcées par la crise ?

À la veille du sommet G-20 de Londres, le premier ministre du Canada Stephen Harper s’est laissé aller à chanter les louanges des grandes banques canadiennes : « Nous avons le secteur financier reposant le plus sur la libre-entreprise. Nous sommes les seuls à ne pas nationaliser ou nationaliser en partie notre système financier ». Selon le prestigieux Financial Times, qui a publié en première page les déclarations de M. Harper, celui-ci aurait ajouté que les banques canadiennes devraient profiter de la force relative de leurs bilans financiers pour faire des acquisitions ailleurs dans le monde et que son gouvernement appuierait de tels efforts car ce serait « l’occasion pour le Canada d’accroitre son rôle dans le secteur financier international ».

Effectivement, les banques canadiennes vont très bien ces temps-ci. Profitant des déboires des banques américaines plombées par les créances toxiques de la crise des subprimes, la Banque Royale s’est hissée au 7e rang des banques nord-américaines, suivie de la Toronto-Dominion, de la Banque Scotia et de la Banque de Montréal, respectivement au 8e, 9e et 10e rang. La 5e banque du pays, la CIBC, serait aussi parmi les 50 premières du continent.

Alors pourquoi leur allonger une aide tournant autour de 125 milliards de dollars ? Car c’est bien la somme allouée aux banques canadiennes par le gouvernement fédéral au courant des six derniers mois via le Programme d’achat des prêts hypothécaires assurés (PAPH). Bien que ne prenant pas la forme d’injection directe de capitaux ou d’achat d’actifs toxiques comme l’ont fait d’autres programmes de sauvetage, il n’en reste pas moins que cela est un programme d’appui massif au secteur financier local. Ce qui est loin d’être passé inaperçu au niveau international. Selon l’hebdomadaire français Le Point, qui cite une étude du FMI du 18 février, le Canada serait au 3e rang mondial quant au coût de l’ensemble des mesures de soutien public aux banques en % du PIB. Il s’élèverait ici à 8,8%, devant les États- Unis à 6,3% et derrière le Royaume- Uni qui aurait englouti pas moins de 19,8% de son PIB dans le sauvetage de ses institutions bancaires.

Selon le ministre des Finances Flaherty, il ne s’agissait, avec ce programme d’achat, que de donner une chance égale aux banques canadiennes aux prises avec une concurrence « déloyale » des autres grandes banques de la planète, bénéficiant des programmes d’aide de leurs gouvernements respectifs. Et, bien sûr, ajoutait-il, c’est aussi un acte d’intérêt public que d’injecter de la liquidité dans le système financier pour qu’il ne se grippe pas, causant une panique au niveau des entreprises et des épargnants. Mais voilà que les déclarations intempestives de Harper lors de son périple londonien lèvent le voile sur les vraies raisons motivant ce soi-disant acte « d’intérêt public ». Il ne s’agit, ni plus ni moins, de permettre aux banques canadiennes de consolider leur position et de se constituer un trésor de guerre pour monter à l’assaut de leurs concurrentes américaines en difficulté. Le tout aux frais des contribuables.

Appréhendant une grogne publique devant les propos imprudents du Premier ministre, Ed Clark, le PDG de la Toronto-Dominion a décidé de tempérer les ardeurs des politiciens en rappelant que la crise sera aussi sévère ici qu’ailleurs et que la force des banques canadiennes n’était que relative face au déclin des concurrents américains et internationaux. D’autres s’empressent d’ajouter que les institutions canadiennes n’ont utilisé à date que 40 milliards du programme d’aide annoncé par Ottawa. Il n’en reste pas moins que ce programme d’a ide aux banques est trois fois plus important que le programme de soutien à l’économie de 40 milliards dévoilé par Ottawa lors du budget de janvier dernier.

Face à ce flagrant déséquilibre en faveur des banques, quelques voix courageuses s’élèvent. Les professeurs Gindin et Panitch de l’Université York à Toronto posent le problème clairement : si les banques sont considérées comme des institutions d’intérêt public justifiant un tel apport massif de capitaux, pour quoi ne pas les nationaliser et en faire de vrais organismes publics soumis à un contrôle populaire ? Pierre Beaulne, l’économiste de la CSQ, ajoute que le problème avec cette injection de liquidités est qu’elle n’est pas assortie de conditions quant à son utilisation au Canada, que ce soit pour garantir les prêts locaux ou bien pour maintenir les emplois. ATTAC-Québec y va, quant à lui, de plusieurs suggestions pertinentes. Il propose notamment de :

« Établir un contrôle public des banques et du secteur financier Il faut établir un contrôle public des banques au moyen de strictes limites de leurs activités, de l’interdiction de spéculer et d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux ou ailleurs à l’étranger, et d’un plafond de la rémunération de leurs dirigeants. Mieux encore serait la nationalisation des banques commerciales. »

Il y a là matière à réflexion pour la gauche politique et sociale au Québec. Face à la « multi-crise », structurelle, environnementale et sociale qui s’abat sur la planète, un programme audacieux de luttes et de revendications s’impose. La question de l’avenir du secteur financier devrait être plus que jamais au coeur de cette démarche

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