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Le Sud Soudan – Dans l’ombre du Darfour

Le 15 juin dernier, le journal Le Devoir publiait une dépêche de l’agence France-Presse intitulée : « Les rebelles attaquent un convoi humanitaire ». On y apprenait que des membres de la tribu Jikany Nuer ont attaqué un convoi de 31 barges transportant 700 tonnes des denrées alimentaires destinées à aider les habitants du village de Akobo, près de la frontière éthiopienne où 18 000 personnes se sont réfugiées pour fuir les violences tribales depuis janvier. Les raisons de cette attaque de barges du Programme alimentaire mondial, escortées par des soldats de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), et qui auraient causé la mort d’au moins 40 soldats ne sont pas mentionnées dans l’article. Sans mise en contexte, cet article n’est rien d’autre qu’un autre exemple de violence « tribale » dans un pays d’Afrique déjà dévasté par la guerre. Sans ce contexte de la situation au Sud Soudan – et les médias canadiens l’expliquent très peu – les faits rapportés ne peuvent avoir de sens. Le fait est que le Sud Soudan est dans une période de renaissance post-guerre qui pourrait bien mener à une paix durable, à une auto-détermination et à l’indépendance ; si, et seulement si, il réussit à faire poursuivre un processus de paix entamé il y a 4 ans et que Le Devoir décrit comme « déjà fragile ». Il est donc primordial d’avoir accès à de l’information au sujet du Sud Soudan, car il n’y a pas que les questions touchant le Darfour ou les accusation de la Cour Pénale Internationale contre le président soudanais Omar al-Bashir qui sont importantes pour ce pays. Il est vrai que l’attention médiatique peut contribuer à réduire les abus envers les droits humains reliés à ces deux dossiers. Mais la situation au Sud Soudan a aussi besoin du support médiatique pour protéger le processus démocratique et aider à maintenir un traité de paix précaire qui a mis fin la plus longue guerre civile africaine opposant le gouvernement du Soudan et la SPLA.

Cette seconde guerre civile soudanaise depuis son indépendance du colonisateur britannique en 1956 a duré 21 ans et s’est terminé officiellement le 9 janvier 2005 avec la signature du « Comprehensive Peace Agreement » (CPA) à Nairobi au Kénya. Ce traité mit en place une structure de partage des pouvoirs entre le gouvernement central et le SPLA et la création d’une coalition pour assurer cette gouvernance ; les deux avec de nouvelles constitutions d’intérim. L’entente prévoyait la transformation des forces rebelles du sud en une armée régulière pour un Sud Soudan semi-autonome avec des unités conjointes intégrées des deux armées dans des régions frontalières spécifiques. Elle prévoyait aussi le partage des revenus du pétrole et l’établissement d’une frontière entre le nord et le sud du Soudan, divisant ainsi la région pétrolifère du pays.

Une période d’intérim de six ans a été prévue pour mener à terme le processus de paix, après quoi le Sud Soudan pourra tenir un référendum pour décider s’il demeure dans le Soudan ou s’il opte pour une indépendance complète. On parle donc de 2011 pour la tenue de ce référendum.

Environ deux millions de personnes ont été tuées durant la guerre, environ quatre millions se sont enfuit vers d’autres régions du Soudan, et un autre million vers les pays avoisinants. Depuis son indépendance il y a 53 ans, le Soudan n’a connu la paix que durant 15 ans (de 1972 à 1983, durant l’Accord d’Addis Ababa, et depuis 2005). Malgré ces statistiques, pratiquement aucune attention de la part des médias canadiens n’a été portée à la situation du Sud Soudan.

L’attention médiatique sur la région a été très marquée durant la famine de 1988 quand plus de 250 000 personnes sont mortes de faim. Mais depuis la signature de l’accord de paix, les médias se sont concentrés bien davantage sur le conflit au Darfour que sur la paix précaire du sud du pays. Les négociations autour du CPA avec les anciens rebelles du sud ont pourtant pu attiser le conflit au Darfour, alors que les rebelles de cette région voulaient être inclus dans les négociations mais ont été tenus à l’écart.

Le Soudan accueil présentement la plus grande mission des Nations Unies au monde (sans même compter la mission de l’Union Africaine de l’ONU) avec le mandat de « supporter l’implantation du CPA… [et de] faciliter le retour volontaire des personnes réfugiées et déplacées. »

On peut se demander en quoi le mouvement de réfugiés et de déplacés mérite plus d’attention médiatique quand ils fuient la guerre et la persécution que lorsqu’ils reviennent sur leur terre natale qu’ils ont préalablement été obligés de fuir… L’histoire de ce retour est pourtant ce qui attend les réfugiés du Darfour dont la situation actuelle ressemble étrangement à un flashback pour les sud soudanais encore en train d’apprendre à vivre dans leurs nouvelles conditions de paix.

La guerre civile qui fait rage actuellement au Darfour a déplacé plus de 2,25 millions de personnes1 depuis 2003, pendant que plus de 2,24 millions de sud soudanais sont revenus au Sud Soudan depuis 20052. Les deux constituent d’impressionnantes migrations humaines qui requièrent un support important de l’ONU et d’autres ONG pour aider à s’établir à nouveau. Les pays donateurs comme le Canada, qui a fourni 66,8 millions de dollars en aide humanitaire au Soudan3, ont une influence sur le futur du Soudan et nécessite une surveillance journalistique digne de ce nom.

Plusieurs sud soudanais qui reviennent sur leur terre natale croient que la paix va durer et désirent reconstruire le pays, alors que d’autres hésitent encore à revenir de peur que les hostilités reprennent. Mais ceux qui reviennent découvrent – dans plusieurs régions – que les conditions de vie dans les régions du sud ravagées par la guerre sont encore plus difficiles que celle des régions où ils étaient réfugiés : manque d’eau potable, pas d’écoles ni de cliniques médicales, et peu de moyen de gagner sa vie. La plupart arrivent après plus d’une décennie d’absence avec rien de plus que quelques effets personnels. Les ONG fournissent à certains une bâche pour mettre en place des abris temporaires, des couvertures, des contenants pour mettre de l’eau, des ustensiles, etc, et le Programme de Nourriture International s’occupe des denrées alimentaires.

Être un réfugié de guerre et ou un ex-réfugié revenant dans sa région apaisée – les deux au Soudan – est donc très similaire et mérite une attention comparable. L’attention médiatique envers le Darfour doit continuer pour contribuer à la fin du conflit, mais elle doit aussi commencer à se porter sur le Sud Soudan pour l’aider à renforcer sa paix fraîchement acquise.

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