Le Cercle de zoologie politique Winston-Smith n’a pas écrit dans les pages du Couac depuis quelques temps déjà. La raison en est fort simple : tous nos effectifs étaient mobilisés dans une vaste enquête de longue haleine sur une espèce qui prend de plus en plus d’espace dans la sphère publique le rhinocerontas enquêtus. Nos observations de terrain nous mènent à constater qu’il ne s’agit plus seulement du perroquet qui répète les faits, ni de la harpie éditoriale qui tord les faits, mais d’une nouvelle façon d’enquêter de manière protectrice sur les autres espèces du royaume animal. Nous livrons ici les résultats de notre vaste enquête.
Méthodologie
Afin de s’imprégner du mode de vie de cette espèce fascinante sans être remarquée, notre équipe de politicozoologues chevronnés de réputation internationale s’est courageusement infiltrée incognito dans ses divers habitats. Notre équipe s’est d’abord attardée à la savane uqamienne, avant d’étudier le marécage situé rue Frontenac, pour enfin terminer sa vaste enquête dans les hauts plateaux du bouclier radio-canadien. Pour éviter d’être repérés, et aussi pour assister sans filtre à des renaclements et des grognements qui traduisent ce qui se vit réellement, au quotidien, dans les hordes de rhinocerontas enquêtus, les membres de notre équipe ont revêtu des combinaisons de camouflage thermosensibles fabriquées avec du duck tape et de cornes simulées façonnées en ivoire de synthèse. Voici les résultats de cette vaste enquête.
1er stade
À l’état de larve (riendeaucerontas monrealcampus), le petit peut déjà écrire quelques lignes dans son carré de sable à l’aide de sa corne à peine poussée. Alors qu’il entame la découverte de son environnement, sa vision imparfaite et grossière lui fait prendre chaque nouvel objet perçu comme un scoop et un scandale. Il éprouve alors une pulsion sexuelle et instinctuelle irrépressible qui le porte à aller scribouiller ce scandale imaginaire dans les quatre coins de son carré de sable. Le plus souvent, le scandale n’existe que dans sa tête, mais à force de renaclements et rugissements, ce qui se trouvait initialement dans la boîte crânienne disproportionnée et vide de l’animal se trouve rapidement à devenir le bruit de toute la savane, si bien que l’ensemble des animaux ne savent plus ce qui est vrai, et ce qui est faux. Son instinct et son impression tiennent lieu de raisonnement, et ceci sans égard au vrai.
2ième stade
Au début de l’âge adulte (rhinocerontas hournalmourialscabus), le gros mammifère développe des facultés analogues à celles, fascinantes, du caméléon. Il est alors capable de se glisser dans la peau des proies qu’il poursuit, modifiant son apparence pour ne pas être reconnu. Pour assurer la défense de la hiérarchie de la chaine alimentaire et du règne animal, le rhino poursuit du petit gibier pour faire enquête sur lui. Objectif : le prendre en flagrant délit de paresse ou de déviance. Ses oreilles surdimensionnées font en sorte que le plus petit ouï-dire invérifié le met en chasse. Sa vision toujours grossière fait en sorte qu’il ne voit pas plus loin que le bout de sa corne. Il doit ainsi aller renifler la réalité en plaçant son appareil olfactif dans l’entrefesse des sujets qu’il pourchasse. Il n’est donc pas surprenant que, de ce point de vue, même les choses les plus normales et habituelles sentent particulièrement mauvais et déclenchent chez lui des rugissements scandalisés qu’il répercute en frontpage, alors que tout les autres animaux étaient déjà au courant depuis longtemps.
3ième stade
En fin de vie (rhinocerontas alinus gravelus), l’animal devenu sénile a tendance à se prendre pour une licorne svelte, blanche et gracieuse. S’appuyant sur une réputation surfaite, l’aîné règne sur la horde et jouit du travail des plus jeunes auxquels il fait ombrage en se mettant constamment de l’avant comme résultat suprême de l’évolution et meilleur représentant de l’espèce. Ses nombreuses enquêtes passées lui ont valu le respect général, et même, son propre show. Il en profite donc pour donner des leçons de droiture à tous. Il aime beaucoup écouter le son de son propre mugissement, et aime à se mirer dans l’étang.
Mais, là où il voit une licorne, les observateurs du cercle n’ont vu qu’un rhinocéros de plus. En fait, à bien y regarder, il y a de plus en plus de rhinocéros, partout. Certains sont déguisés en professeurs, d’autres en grosse madame, d’autres en monsieur noir, d’autres en anglophone. En fait, notre enquête révèle qu’il y a de plus en plus d’enquêtes, doublée d’une démultiplication de la population de rhinocéros. Ils sont beaux. Nous ne sommes pas beaux.
Oh ! comme nous voudrions être comme eux. Nous n’avons pas de corne, hélas ! Il en faudrait une ou deux, pour rehausser nos traits tombants. Ça viendra peut-être, et nous n’aurons plus honte, nous pourrons aller tous les retrouver. Mais ça ne pousse pas ! Comme nous avons mauvaise conscience, nous aurions dû les suivre à temps. Trop tard maintenant ! Malheur à celui qui veut conserver son originalité !
Laisser un commentaire