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Équateur : Coup d’État ?

Doit-on parler

de tentative de Coup d’État en Équateur ? La tentation est grande, tant on s’est habitué à ces méthodes en Amérique Latine. Dans ce cas, il est cependant difficile de statuer de manière définitive. L’examen du déroulement des opérations et de la conjoncture politique indique qu’une opération planifiée de renversement du président est fort peu probable, même si le risque de déstabilisation fut bien réel. En revanche, il apparaît que les événements du jeudi 30 septembre dernier sont en partie la conséquence de l’intransigeance du président Rafael Correa.

Entrevue avec William Sacher, co-auteur de Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique sur ces événements récents.

Le Couac (LC) : Le 30 septembre 2010, les policiers équatoriens, tout particulièrement les membres des troupes de base, ont manifesté violemment depuis la principale caserne de Quito. Quel a été l’élément déclencheur ?

William Sacher (WS) : C’est l’approbation, la veille, de la nouvelle Loi sur les Services Publics par l’Assemblée Nationale équatorienne. L’objectif premier de cette loi est de niveler les salaires de la fonction publique. Suite a un veto imposé par le président de la République Rafael Correa on y a inclus l’élimination d’un certain nombre de primes et gratifications spécifiques à la police .

LC : Au matin du 30 septembre, le président Correa s’est retrouvé séquestré dans l’hôpital de la police par les policiers qui en bloquaient l’accès. Comment cela est-t-il arrivé ?

WS : D’abord il faut préciser qu’il s’agissait d’une séquestre toute relative, puisque Correa était protégé par des policiers qui lui sont restés loyaux, et a même donné des entrevues aux médias. Il a également pu s’adresser aux policiers depuis le troisième étage de l’hôpital, d’où il a annoncé de façon provocante son refus de négocier sur les mesures de la loi, ce qui n’a pas manqué d’attiser la colère des manifestants.

À peine averti du mouvement de grève, le président Correa avait décidé d’aller à leur rencontre pour entamer un « dialogue ». Une fois dans l’enceinte de la caserne, le président a été pris à partie par des policiers échaudés. Au milieu de gaz irritants, les gardes du corps du président réussissaient alors le conduire jusqu’à l’hôpital de police qui se situe juste à côté de la caserne , où il est resté isolé jusqu’en fin de journée.

En fin de journée, quelques centaines de soldats lourdement armés libéraient le président suite à un échange de tirs nourri avec les policiers. Correa regagnait immédiatement le palais présidentiel d’où il adressa un discours sous les vivats de la foule qui s’y était massée spontanément . Malgré l’allégresse et le statut de héros conquit par Correa, le bilan est lourd : on parle de 8 morts et plus de deux cents blessés, parmi lesquels des civils, suite à une opération militaire qui eut pour théâtre… un hôpital. Pour certains, le président s’est lui-même placé dans une position très délicate en allant provoquer les manifestants, manquant ainsi aux obligations de sa fonction.

LC : Qu’est-ce qui à partir de là, a pu faire supposer qu’on assistait à un Coup d’État ?

WS : Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Tout d’abord, la tension montait d’un cran quand, dans la matinée, entre 100 et 200 soldats des forces armées aériennes se solidarisaient au mouvement policier et fermaient l’aéroport de Quito. Des inquiétudes vite apaisées cependant par les hauts-responsables de l’armée qui déclaraient sans ambages soutenir Correa, et condamnaient l’action policière. L’Assemblée Nationale était de son côté cernée par des effectifs de la police qui empêchaient aux députés d’y pénétrer. Dans le reste du pays, nombre de policiers se montraient solidaires de leurs collègues de la capitale et l’absence de forces de l’ordre dans les rues provoquait une situation d’insécurité générale.

Il faut également mentionner le rôle-clé joué par les médias. Suite à la décision du gouvernement de déclarer l’ « État d’Exception », les chaînes gouvernementales prenaient le contrôle total des ondes radiophoniques et télévisuelles, et dramatisaient le plus possible les incidents. Aussi, la nouvelle s’est rapidement propagée à l’échelle internationale, et certains médias reprenaient l’hypothèse du Coup d’État, avancée plus tôt par le président Correa.

Ensuite, très rapidement, quelques groupes ont opportunément saisi une occasion unique de fragiliser le gouvernement. Parmi eux, l’ex-président de la République Lucio Gutiérrez , un militaire de carrière qui reste très populaire auprès des forces armées et la police, a appelé à la mobilisation contre le gouvernement. On peut également mentionner le parti de l’élite autochtone de droite, le Pachakutik, et en particulier une de ses représentantes les plus en vue, Lourdes Tiban . Attention cependant, il faut à tout prix éviter le réflexe -malheureusement fort commun dans les médias- qui consiste à parler d’un mouvement autochtone unique. De nombreuses tendances s’expriment dans cette catégorie de la population. À ce titre, le parti Pachakutik suit une voie bien différente de la Confedération Nationale des Indigènes de l’Équateur (CONAIE), la principale organisation autochtone du pays, auquel il est pourtant historiquement lié.

LC : Quelles positions ont adopté les autres acteurs du spectre politique ?

WS : À part ces éléments isolées, la droite équatorienne n’a pas semblé vouloir s’engouffrer dans la brèche. Il faut dire que la ligne politique suivie par Correa et son gouvernement au cours des trois dernières années est, à quelques rares exceptions, rarement entrée en contradiction avec les intérêts oligarchiques nationaux et transnationaux, qui, pour certains, influencent directement le programme du gouvernement.

Ceci, malgré un discours qui se démarque clairement des principes néolibéraux du Consensus de Washington, et la mise en œuvre de processus pionniers très prometteurs -dans lesquels le gouvernement a cependant fait preuve d’un manque évident de volonté politique- comme l’audit de la dette publique ou encore le projet Yasuní-ITT, qui vise à laisser près de 1 millions de barils de pétrole sous terre en échange d’une aide étrangère .

Preuve de cette absence d’intérêt à renverser le régime, le maire de droite de Guayaquil Jaime Nebot, lié aux milieux d’affaires de la région côtière et possible outsider dans la future bataille présidentielle, s’est rapidement joint aux voix qui condamnait l’insurrection policière. Le large soutien international apporté à Correa tout au long de la journée du jeudi, en particulier celui de Washington, a également montré qu’une déstabilisation du régime n’était pas dans l’intérêt des puissances régionales et occidentales.

Ces élites ne trouveraient pas vraiment d’avantages à renverser Correa qui mène, sous couvert de socialisme, une politique néo-keynésienne de programmes sociaux et de réalisation d’infrastructures d’envergures, mais à tendance néolibérale en ce qui a trait à la gestion des ressources naturelles. À ce titre, les intérêts miniers canadiens et chinois sont particulièrement choyés. Correa a même prétendu que le Canada était un exemple de modèle d’exploitation minière , une affirmation difficilement soutenable par les temps qui courent…

LC : Alors, ce « Coup d’État », un pétard mouillé ?

WS : Il est difficile d’affirmer catégoriquement si l’isolement de Raphaël Correa fut prémédité ou s’il est la conséquence conjointe de l’intransigeance du président et des policiers… Cependant, très peu de facteurs indiquent qu’il s’agissait d’une attaque planifiée en vue de faire tomber le pouvoir en place. Ou, si c’était le cas, le plan pâtissait d’un manque cruel d’organisation. En particulier, les policiers ne s’étaient manifestement pas assurés du soutien d’autres secteurs-clés que requiert une tentative de putsch : entres autres de l’armée, ou encore de franges de la classe politique et de la société civile.

Ainsi, c’est plus vraisemblablement la conjonction de l’intransigeance du gouvernement face à des troupes policières au sein desquelles évoluent des éléments réactionnaires mais désorganisés qui a conduit à la situation critique qu’a connu le pays durant la journée du 30 septembre.

Par contre, il est fort probable que des velléités de renversement du gouvernement de Correa existent au sein d’une police infiltrée par des éléments proches de Lucio Gutiérrez, et qui maintenait par ailleurs jusqu’à il y a peu des liens étroits avec l’ambassade américaine . On peut raisonnablement imaginer que Gutiérrez n’aura pas manquer de se demander, au même titre que les divers intérêts nationaux et transnationaux en place dans ce pays andin, s’il était approprié de saisir sa chance ou pas.

Il n’est peut-être pas, a priori, souhaitable de qualifier d’emblée de tentative de coup d’État ce genre d’incident, et encore moins d’attribuer aveuglément son hypothétique préméditation aux intérêts étatsuniens, comme l’on immédiatement fait certains secteurs de la gauche latino-américaine. À ce titre, étant données les circonstances, les comparaisons avec le putsch hondurien et la tentative contre Chávez au Venezuela en 2002 restent hasardeuses. La situation était néanmoins critique, et même si l’annonce d’un « coup d’État » par Rafael Correa a été quelque peu hâtive et peut paraître a posteriori injustifiée, elle aura peut-être influencé le cours des événements en attirant immédiatement l’attention de l’opinion internationale. Sans cette annonce, et sous la pression de certains groupes opportunistes, la situation aurait possiblement pu évoluer au point de présenter des conditions plus propices à un vrai renversement du pouvoir.

LC : Vous avez parlé de politique néolibérale. En lisant les médias internationaux, on a pourtant franchement l’impression que Correa pratique une politique ancrée à gauche. Il revendique d’ailleurs être à la tête d’une révolution socialiste du XXIème siècle. À part les policiers, y-a-t-il d’autres secteurs qui désapprouvent sa politique intérieure ?

WS : D’abord il faut mentionner la personnalité atypique de Correa. Le président est largement critiqué par de nombreux acteurs politiques et de la société civile, même au sein de son propre camp, qui se plaignent de son intransigeance, son arrogance et son incapacité à dialoguer. Grâce à la majorité au parlement et au pouvoir discrétionnaire dont il dispose, il a pu, au cours des derniers mois, imposer une série de lois faisant suite à l’établissement de la nouvelle et fort inspirante constitution, mais dont les textes entrent parfois en contradiction totale avec celle-ci.

Les Lois sur l’éducation et sur les moyens de communication se sont attirées les foudres des professeurs, des mouvements étudiants et des médias, ces derniers restant, il est vrai, majoritairement liés à la droite néolibérale. Mais c’est en particulier les récentes Lois sur l’Eau et sur les Mines qui, ouvrant la voie à une privatisation de l’eau et l’exploitation industrielle des ressources minérales, confortent une fois de plus le modèle de pays extractiviste – et exportateur de matières premières- qu’applique le pays depuis des décennies, et fait planer la menace de nouvelles et graves conséquences socio-environnementales . Ces deux dernières lois ont donné lieu à de vives protestations, notamment de la part des mouvements autochtones.

Malgré le bras de fer permanent qu’elle mène contre le gouvernement, la principale organisation indigène du pays, la CONAIE, a fait savoir par communiqué qu’elle condamnait fermement le soulèvement policier et soutenait le processus démocratique. Elle l’a cependant fait à reculons, peu encline à soutenir un président qui a souvent réprimé et dénigré les autochtones, usant d’une violence tant verbale que physique , rarement vue, même aux heures les plus sombres de la « nuit néolibérale ».

La CONAIE affirmait en revanche qu’elle tenait le président Correa et son unilatéralisme pour responsable de la situation critique dans laquelle il se trouvait alors. Une critique reprise à l’unisson par la Conférence Épiscopale et de nombreux intellectuels de gauche comme l’ex-président de l’Assemblée Constituante Alberto Acosta, ou encore la sociologue marxiste Natalia Sierra. Cette dernière livre une critique cinglante de la version du socialisme à l’œuvre en Équateur : selon elle, le gouvernement de Correa a « attaqué et détruit des acquis sociaux, dans le secteur public comme dans le secteur privé, appliquant des politiques néolibérales » , et pratiquerait une politique autoritaire et populiste drapée dans un discours révolutionnaire, mais en parfaite continuité avec les gouvernements néolibéraux qui l’on précédé.

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