Cette annonce apparue en mars sur les autobus de Montréal a fait sursauter bien du monde. Pour les athées qui subissent l’arrogance des croyants depuis si longtemps, la réaction en a été une de libération : « Enfin ! ». Pour les croyants persuadés que nous vivons dans une société déjà pleinement laïque, la réaction a été plutôt de prétendre « qu’il n’y a pas de problème pour les athées au Canada » et qu’en conséquence nous aurions dû rester bien cachés dans notre placard, comme il se doit dans une société où la religion en a mené très large pendant longtemps et continue d’ailleurs de bénéficier de privilèges étendus.
Mais pourquoi donc les athées ont-ils décidé de sortir du placard ?
Une grande part de la population canadienne partage encore une perception erronée des athées et de l’athéisme, perception façonnée par des préjugés et des calomnies répétées sur des millénaires. En 2008, un fonctionnaire du ministère de l’Éducation du Québec n’a pas trouvé de meilleure excuse pour ne pas inclure le terme « athée » dans le programme d’Éthique et de Culture religieuse que de déclarer publiquement que ce terme était trop « négatif » et qu’il n’avait donc pas sa place dans ce programme. De fait, les athées et agnostiques continuent d’être la dernière minorité qui peut être impunément insultée en public. Un langage haineux vis-à-vis des athées est encore aujourd’hui considéré comme acceptable par beaucoup de citoyens qui, par ailleurs, n’accepteraient pas un tel langage vis-à-vis d’une autre minorité.
Une des calomnies habituelles a encore été utilisée, en février dernier, en pleine séance du comité des transports de la ville d’Ottawa : une personne qui s’opposait aux autobus portant des annonces athées s’est levée et a clairement déclaré que les athées étaient responsables de la mort de millions de personnes, faisant référence à la Russie de Staline et laissant implicitement entendre que les athées d’Ottawa sont de la même espèce. Pourtant, personne au Canada n’oserait déclarer publiquement que les musulmans du Canada sont responsables des attentats du 11 septembre 2001. Jamais les humanistes du Canada et du Québec n’oseraient déclarer que les chrétiens du Canada sont responsables des exactions du général Franco, du général Pinochet, ou celles de l’Armée de libération du Seigneur en Ouganda. Alors, pourquoi cette hargne à notre égard ? Ce genre de calomnie est encore plus pénible pour les humanistes athées de notre association qui sont tous d’ardents défenseurs de la démocratie et des droits humains et pas seulement en paroles. Au travers de notre association à l’I.H.E.U., nous avons une voix à la Commission des droits de l’homme aux Nations Unies et nous participons activement à diverses campagnes.
La réalité sur l’influence des athées, agnostiques et, plus généralement, des non-croyants, est tout autre. Cette réalité, est maintenant bien documentée dans les pays de l’O.C.D.E. : il y a une corrélation troublante entre le niveau de religiosité et le niveau des principales plaies sociales (homicides, suicides chez les jeunes, mortalité infantile, avortements, grossesses d’adolescentes, M.T.S. et durée de vie abrégée). Il ne s’agit évidemment pas de démontrer ici que la religion est la cause de ces dysfonctions sociales, mais surtout qu’un indice élevé de non croyance est parfaitement compatible avec des sociétés fonctionnelles ayant des taux réduits de maladies sociales 1. De même, et sur une échelle plus vaste, le palmarès de l’Indice de développement humain des Nations Unies montre sans équivoque que les nations avec les taux les plus élevés de non croyance se placent généralement dans le peloton de tête du développement. On y retrouve la Norvège, la Suède, l’Australie et le Canada. À l’inverse, les nations avec des taux de religiosité frôlant les 100% occupent la plupart des cinquante dernières places.
Nous, humanistes du Québec, sommes arrivés à deux conclusions complémentaires : non seulement les religions ne disposent d’aucune base factuelle fiable pour soutenir leurs assertions quand au surnaturel, mais, de plus, la croyance très ancrées dans les effets bénéfiques des croyances religieuses, sur le plan social et par rapport à l’athéisme, ne peut plus être raisonnablement défendue, à tout le moins en ce qui concerne les pays développés et à notre époque. En conséquence, nous nous devons de faire comprendre à la population que l’athéisme en lui-même ne représente aucunement une menace pour la cohésion et l’harmonie des sociétés et que, bien au contraire, la libre pensée et l’humanisme athée sont aussi des atouts pour l’épanouissement des peuples, tout comme la liberté de conscience et la liberté d’expression.
Depuis le 3 mars 2009 et pour quatre semaines, une dizaine d’autobus de la S.T.M. circulent avec le fameux panneau publicitaire. Il s’agit de la première campagne de publicité du genre au Québec et elle est commanditée par l’Association humaniste du Québec. À l’instar d’autres campagnes similaires (Espagne, Italie, Australie, États-Unis, Suisse, Allemagne) ayant emboîté le pas à la campagne initiale londonienne d’octobre 2008, notre campagne vise donc d’abord à faire admettre à la population en général que les athées constituent une minorité importante qui mérite le même respect que les autres positions religieuses. Elle veut ensuite rejoindre bien des athées qui se sentent isolés et qui ne connaissent pas encore notre existence. Une fois le contact établi, nous aimerions qu’ils découvrent, s’il en était besoin, que l’humanisme, c’est bien plus que le seul athéisme.
Les réactions à la campagne
Les premiers refus des villes d’Ottawa, de London (ON) et de Halifax (NS) de passer des annonces similaires sur les bus de ces villes nous ont évidemment offert une confirmation éclatante de notre thèse : au Canada les athées sont manifestement loin d’être citoyens avec les mêmes droits que les croyants, ce qui justifie la campagne. Il y a cependant de l’espoir : les villes de Toronto et Montréal, qui sont actuellement les premières à avoir accepté ces annonces, sont aussi les deux plus grosses.
« Shock and awe » ! L’annonce des annonces, avant même la sortie du premier bus, a suffit à déclencher une vague d’entrevues avec les médias, toujours allumés par ce qu’ils perçoivent comme une possibilité de « controverse » croustillante. J’ai dû affronter en direct à TVA puis à Radio Canada deux habitués des plateaux de télé et de radio : un théologien jeune et fringant, Luc Phaneuf, et un prêtre, l’abbé Raymond Gravel, pas particulièrement représentatif de son église. Le théologien a admis qu’il se sentait confortable avec sept des huit principes que nous demandons à nos membres d’endosser, et de fait, il ne s’objectait plus qu’au seul rejet du surnaturel et des dogmes.
Dans les entrevues comme dans les commentaires sur les blogues, la question qui est revenue le plus souvent est « Pourquoi probablement ? Vous n’êtes pas sûr de vous ? » A chaque fois nous avons dû expliquer que, philosophiquement, il n’est pas possible d’affirmer avec une totale certitude que quelque chose n’existe pas, même si nous savons que sa probabilité d’existence est infiniment petite. Nous ne sommes pas des agnostiques dans le sens « indécis » mais dans le sens « philosophiquement conséquents ».
Nous avons reçu une seule lettre de menace, elle émanait d’un croyant qui menaçait de nous poursuivre en justice, via une action collective, si nous persistions dans notre projet. La première réaction officielle d’une église est arrivée le dimanche 8 mars lorsque j’ai découvert une coûteuse annonce d’une demi page, dans La Presse, avec seulement deux phrases accotées à une boîte à cocher : d’abord un plagiat de notre annonce, y compris les couleurs et les caractères, et ensuite une seconde phrase presque identique : « Dieu existe probablement… etc. ». C’était la bizarre réplique de l’Église Unie et elle renvoyait à son site web. Nous la remercions de relancer si gentiment notre campagne. Plus tôt dans la campagne, le secrétaire du Conseil des évêques s’est félicité que nous vivions dans une société qui respectait la liberté de conscience et d’expression. Nous espérons que les villes de Halifax, London et Ottawa entendront ce message sensé. Il n’est jamais trop tard pour voir la lumière.
Michel Virard,
Président
Association humaniste du Québec
L’Association humaniste du Québec en bref
L’Association humaniste du Québec a été créée en 2005 par Normand Baillargeon, Bernard Cloutier et Michel Virard. Sa vocation est le développement de la pensée critique au sein de la population du Québec. Elle a le statut d’œuvre caritative au Canada et est une association apolitique qui ne s’identifie à aucune option politique précise sinon la défense des droits humains. L’Association humaniste du Québec est membre associé de l’I.H.E.U., (International Humanist & Ethical Union) basée à Londres (www.iheu.org). L’Association a maintenant plus de 200 membres qui souscrivent aux huit principes humanistes de notre charte. L’Association reçoit son financement des modestes cotisations des membres, de dons de membres et non membres, et aussi de dons de la Fondation humaniste du Québec. Elle ne reçoit aucun financement gouvernemental ou étranger.
L’Association humaniste opère le Centre humaniste, la Bibliothèque humaniste du Québec, le Ciné-club humaniste et différents sites web (http://assohum.org). Elle organise des conférences et participe à la production de vidéos à caractère humaniste. L’Association organise des « Agapes humanistes » conviviales quatre fois l’an. Elle participe aussi à des événements externes significatifs pour les humanistes, tels que la dernière « Nuit de la Philo » où nous avons présenté « Les Libres penseurs du Québec ».
Plusieurs membres de l’Association sont des écrivains accomplis : Daniel Baril, Cyrille Barrette, Rodrigue Tremblay, Norman Baillargeon ont tous contribué à la diffusion de la pensée critique au Québec.
Depuis sa création, l’Association a aussi été un instrument dans de diverses campagnes destinées à influencer des décisions touchant des droits fondamentaux, telles que la répudiation des arbitrages par des tribunaux religieux en Ontario, et, plus récemment, l’acquittement du juge Luigi Tosti par la Cour de cassation de Rome.
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