Les révélations de WikiLeaks continuent de défrayer la manchette. Au-delà de notre bidonville médiatique, il s’entend.
Ailleurs
À la mi-février, 16 000 dépêches diplomatiques étaient transmises par WikiLeaks à El Espectador, un journal de la capitale colombienne. El Espectador – et son compétiteur du coin, Semana – ont depuis égrainé les communiqués, plus chauds les uns que les autres. On y apprend notamment que la guerrilla des FARC négociait depuis belle lurette la libération d’Ingrid Betancourt avec l’administration de l’exprésident Alvaro Uribe. Très embêtant. Très gênant même. La version officielle ne voulait-elle pas que l’ex-politicienne Betancourt – accompagnée de 15 autres otages de haut rang – ait été libérée par une armée colombienne héroïque ? Merde.
Mais la Colombie ? Qu’est-ce qu’on s’en fout ! À part les vols bon marché vers Cartagène, y a pas grand chose pour nous exciter le poil des jambes. Les néoparamilitaires qui tuent impunément des civils, heu, c’est pas en spécial au Costco ça, non ? Alors on zappe… stop ! Pas si vite champion ! Il se trouve que WikiLeaks se montre tenace.
Pas plus tard que le 14 mars dernier à 7h07 du matin, une autre bombe atterrit dans nos bols de céréales. Pour une fois, tenez bien votre cravate, CouacLeaks n’est pas derrière cette attaque. Le scoop revient à l’un des bénévoles les plus assidus de WikiLeaks, l’ambassadeur étasunien en Argentine, E. Anthony Wayne. « [Paul] Martin affirme que les principales compagnies minières canadiennes tiendront leur engagement d’investir en Argentine, malgré la bisbille de l’an passé, lorsque le gouvernement argentin les avait surprises avec de nouvelles taxes à l’exportation. Depuis l’annonce des hausses de taxes, le gouvernement de l’Argentine, avec à sa tête le Secrétariat des mines, travaille en catimini avec des compagnies canadiennes afin de trouver des façons de contourner les nouvelles réglementations fédérales. ». Ah ouais, on reconnaît bien nos Toronto boys, à pied d’oeuvre dans la capitale du tango, suintant dans des bureaux fédéraux trop petits et mal aérés, les yeux rouges rivés sur leurs montres suisses. Merde encore.
Ici
Le navire WikiLeaks approche lentement des berges du fleuve Saint-Laurent. Une petite fuite sympathique sur nos légendaires minières ici. Un petit pouet là. C’est encore gentil. Pas d’acteur de la construction déculotté, pas de premier ministre éclaboussé, pas de baron des médias emmerdé. Eh merde !
Mais ne voit-on pas voguer une petite chaloupe au large ? Pas exactement WikiLeaks. Il s’agit, nous dit son porte-parole, Luc Lefebvre, d’une couche sans fuites… pour le moment. Le 9 mars, jour du lancement de QuébecLeaks, l’émule de WikiLeaks n’avait qu’une invitation à nous servir. Pas de révélation. « Oyé ! Oyé ! Constipés Québécois, faites des hommes et des femmes de vous-mêmes et déposez, diantre ! » L’appel fort sympathique et bienvenue de Lefebvre et des siens comporte cependant un bogue.
« Nous nous inscrivons dans la mouvance de WikiLeaks et d’OpenLeaks. Cependant nous avons appris de certaines de leurs erreurs », nous annonce d’entrée de jeu QuébecLeaks sur son site Web. L’affirmation fait sourire. Au plus fort des révélations sur l’Irak et l’Afghanistan en début 2010, WikiLeaks s’était fait bloquer l’accès à son compte de dons en ligne PayPal. Un an plus tard QuébecLeaks, ayant « appris de cette erreur », vous encourage à faire des dons utilisant… PayPal. Yo… ne nous enfargeons pas.
Pendant ce temps
Pendant ce temps ? Daniel Domscheit-Berg, hacker et ex-acolyte de Julian ‘WikiLeaks’ Assange, publie simultanément en une vingtaine de langues Inside WikiLeaks, une plongée en apnée dans la salle des machines à vapeur du navire. Je dis en apnée, car je l’ai dévorée en un après-midi, sans respirer, ou presque. Ce n’est pas tellement que c’est bien écrit, au contraire. Inside Wikileaks est un ouvrage soap : l’auteur (maintenant chez OpenLeaks) et Assange ont nagé 4 ans durant comme un seul homme à contre-courant. Ce qui devait arriver, arriva. La surchauffe, puis, la brouille entre les deux hommes. Sur les principes, mais sur le contrôle, le pouvoir, l’aspect humain surtout. Ça, c’est pour la portion telenovela.
Là où ça décolle, c’est dans les descriptions des différentes fuites. À chaque fuite, sa personnalité. Domscheit-Berg décrit le fonctionnement interne de WikiLeaks, les surdoses de stress lors de fuites majeures. Tout y passe : les débuts modestes avec les sorties sur le Kénya, le coup d’éclat avec la banque Julius Bär, les échanges de clavardage avec les fraternités de campus étasuniens, les tactiques d’arnaque de la Scientologie, WikiLeaks et ses relations avec les médias, etcetera.
Un témoignage utile et subjectif qui nous fait pénétrer dans les serveurs, câbles réseaux et autres bébelles de l’ère numérique. Un livre dont les enseignements restent généraux, mais tout de même éclairants. Le plus intéressant, il va sans dire, réside dans le fait qu’elle est narrée par le col bleu de service, cette histoire. Bien que Daniel Domscheit-Berg tente de se gosser une virginité morale à travers cet ouvrage, il arrive à sa fin. Il s’affranchit d’Assange d’un bord, injecte une bonne dose de transparence sur WikiLeaks de l’autre.
En attendant que le Québec s’offre une diarrhée de fuites par le truchement de QuébecLeaks, d’autres projets sont à prévoir. Des sources bien informées nous révèlent que le printemps ne sera pas qu’arabe, mais aussi numérique. Au-delà de notre bidonville médiatique, il s’entend. Comme disait l’autre, ça va chier dans le ventilo
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