Chaque semaine, des bateaux disparaissent au large de l’Espagne, de l’Italie ou de Malte après avoir été aperçus, font naufrage, des corps sont repêchés, on retrouve des clandestins vivants accrochés en pleine mer à des cages d’élevage de thons, sans parler des occasions où l’arraisonnement par les autorités fait lui-même couler les embarcations, emmenant par le fond ses occupants.
Devenue une priorité pour de nombreux pays européens, la chasse pour les débutants aux clandestins se dote de moyens de plus en plus sophistiqués. En 2004, naissait Frontex « Une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (…) créée pour améliorer la gestion intégrée des frontières extérieures des États membres de l’Union européenne. » (1) Il faut dire que l’Espagne, entre autres, se plaignait depuis longtemps de devoir gérer seule les quelques 30 000 immigrants clandestins (surtout d’origine africaine subsaharienne) débarqués annuellement sur les côtes de son archipel très touristique, les Iles Canaries.
Mais Frontex avait beau permettre de mette en commun le savoir-faire de plusieurs pays européens pour la lutte contre l’immigration clandestine, il ne comportait pas de volet opérationnel. Jusqu’à juillet dernier, jusqu’à ce qu’une proposition vienne modifier les conditions de base de Frontex. Ainsi, comme l’indique le texte de la proposition : « Compte tenu des situations critiques auxquelles plusieurs États membres sont confrontés en cas d’afflux massif d’immigrants clandestins par voie maritime, il est jugé nécessaire de renforcer encore la solidarité dans ce domaine entre les États membres et la Communauté par la création d’équipes d’intervention rapide aux frontières. »
Solidarité pour les uns, rejet pour les autres. Ces nouvelles mesures on eu en effet pour conséquence première de faire prendre plus de risques aux immigrants qui traversent la Méditerranée. Pour échapper aux contrôles, ils se retrouvent souvent à faire jusqu’à 500 km en haute mer. Et qui dit haute mer sur un rafio dit naufrage. Avant même que ne soient mises en place les nouvelles structures de Frontex, Khalil Jemmah, président de l’association des familles des victimes de l’immigration clandestine (Afvic, Maroc) estimait que « 4 000 clandestins (…) étaient morts entre 1997 et 2004 au large des côtes marocaines ». Et durant les sept premiers moins de 2006, ce sont près de 700 morts par noyade ou pour cause d’épuisement qui ont été repêchés aux large des Iles Canaries (2). Aujourd’hui, donc, Frontex bénéficie d’avions qui survolent la mer équipés de rayons infra rouges afin de laisser aucune chance à tous ceux qui s’entassent dans de maigres embarcations pour jusqu’à 10 jours d’une traversée éreintante.
Frontex peut aussi compter sur la coopération de certains pays d’Afrique. Ainsi, le Sénégal, d’où partent la majorité des clandestins, apporte son aide dans la traque aux candidats à l’immigration clandestine au sol afin d’empêcher les embarcations de quitter les côtes. Frontex a de plus fourni au gouvernement sénégalais quatre navires, des vedettes rapides et un avion auxquels l’Espagne a ajouté deux autre vedettes, un avion de surveillance et un hélicoptère. (3) Le gouvernement sénégalais agit également en diffusant à la télévision les arraisonnements des pirogues effectués par les autorités, dans le but dissuader les jeunes de prendre la mer au risque de leur vie.
Du côté de la France, Bernard Kouchner, heureux nouveau ministre des affaires étrangères du gouvernement sarkozien (sic) a pour sa part sévèrement critiqué l’immigration clandestine lors de sa récente visite au Mali. Il a déclaré « Même si je comprends les raisons de l’immigration clandestine, je ne les approuve pas » (Libération, le 8 juin 2007). On peut se demander quelles raisons il n’approuve pas : la pauvreté, la Françafrique ? Il a ajouté : « Il faut que les retours soient acceptés, car la France ne peut accepter toute la misère du monde » Pas mal, quand même, pour l’ancien fondateur de Médecins sans Frontières…
Il apparaît de plus en plus clair que les pays de l’Europe du Nord ne comptent pas s’embarrasser du fardeau de l’immigration clandestine. Ils prennent donc soin de leur image et sous-traitent de plus en plus le refoulement des migrants aux pays du Sud. Au Maroc, par exemple, pays qui participe vaillamment à ce que l’on appelle « l’externalisation » de la migration en effectuant des rafles visant à refouler vers l’Algérie les populations migrantes. Mais comment un pays africain peut-il en arriver à accomplir les basses œuvres de ceux situés plus au Nord ? Tout simplement en subissant suffisamment de pressions économiques et diplomatiques…. (4). Au Maroc encore, ou du moins tout près, les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla sont le lieu de véritable chasses à l’homme. En octobre 2005, au moins 10 personnes ont en effet été exécutées alors qu’elles tentaient de passer du Maroc en terres espagnoles en rejoignant Ceuta ou Melilla. Et pour un exemple connu, combien de personnes tombées dans l’anonymat ?
Si l’Espagne et l’Italie ont opté un temps pour la régularisation massive des illégaux installés sur leur territoire, elles se sont vues vertement critiquées par les autres membres de la communauté européenne. On les a accusées d’avoir créer un « appel d’air » (5) difficile à contenir. Tout comme les États-Unis et leur mur de la honte, l’Europe tente ainsi d’édifier une forteresse permettant de tenir à distance toute immigration non choisie, mais il est difficile d’envisager de barricader les côtes et les plages. Il est vrai qu’une pirogue débordant de clandestins qui arrive alors qu’on est tranquillement en train de bronzer au Club Med, ça fait quand même un peu désordre…
Isabelle Baez
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